Les arrêts rendus en matière de designs sont suffisamment rares pour retenir l’attention. La Cour de Justice de l’Union Européenne a récemment eu deux occasions de se pencher sur la protection des designs au sein de l’Union Européenne : le 16 février 2023 dans l’arrêt C-472/21, et le 2 mars 2023 dans l’arrêt C-684/21.
Je concentrerai ici mon attention sur le premier de ces arrêts. Il souligne l’importance qu’il y a de comprendre les nuances existantes entre la Suisse et nos voisins, en particulier dans le cadre d’une gestion de portefeuille en matière de designs.
Dans cette affaire, la Cour était amenée à se prononcer sur la protection au titre de design d’une selle de vélo ainsi représentée :
Aux termes de l’art. 3 de la Directive 98/71, « un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe n’est considéré comme nouveau et présentant un caractère individuel que dans la mesure où la pièce, une fois incorporée, reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit ».
Par « utilisation normale », cette disposition prévoit en son paragraphe 4 qu’il faut entendre celle qui est faite par l’utilisateur final, à l’exception de l’entretien, du service ou de la réparation.
Dans cette affaire, la partie défenderesse invoquait le fait que la selle en question n’était pas visible lors de l’utilisation normale du vélo sur lequel la selle était fixée. Partant, dite selle n’était pas susceptible d’être protégée par un design, qui devait être annulé.
La Cour se réfère à son arrêt Ferrari, rendu le 28 octobre 2021 en application du Règlement n° 6/2002 (C-123/20). A ce titre, elle considère que la protection ne devrait pas être étendue aux pièces qui ne sont pas visibles lors d’une utilisation normale d’un produit complexe, ni aux caractéristiques d’une pièce qui ne sont pas visibles lorsque celle-ci est montée.
Pour la Cour, la pièce en question ne doit pas seulement être visible pour l’utilisateur final, mais également pour un observateur externe lors de l’utilisation du produit conformément à sa destination usuelle. Une telle utilisation peut toutefois exiger la réalisation de certains acte antérieurs ou postérieurs à l’exécution de cette fonction principale. De tels actes sont également couverts par l’utilisation dite « normale » du produit pour autant qu’ils n’aient pas trait à l’entretien, au service ou à la réparation du produit complexe.
Au final, la Cour en conclut que l’art. 3 paras 3 et 4 Directive 98/71 « doit être interprété en ce sens que l’exigence de « visibilité », prévue à cette disposition, pour qu’un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe puisse bénéficier de la protection juridique des dessins ou modèles doit être appréciée au regard d’une situation d’utilisation normale de ce produit complexe, de sorte que la pièce concernée, une fois incorporée dans ledit produit, reste visible lors d’une telle utilisation. À cette fin, la visibilité d’une pièce d’un produit complexe lors de son « utilisation normale » par l’utilisateur final doit être appréciée du point de vue de cet utilisateur ainsi que de celui d’un observateur extérieur, étant précisé que cette utilisation normale doit couvrir les actes accomplis lors de l’utilisation principale d’un produit complexe ainsi que ceux qui doivent être habituellement accomplis par l’utilisateur final dans le cadre d’une telle utilisation, à l’exception de l’entretien, du service et de la réparation. »
C’est à l’autorité nationale allemande qu’il appartiendra de décider si le design susmentionné est susceptible d’être protégé par un design.
Tel ne devrait à mon sens pas être le cas. En effet, les caractéristiques du design se trouvent sur la face cachée de la selle une fois celle-ci apposée sur le vélo. Or, de manière générale, « l’utilisation normale » d’un vélo ne commande pas que la selle soit systématiquement retirée et remise. Une fois fixée, la selle n’est que rarement retirée, hormis pour d’éventuels actes d’entretien et de réparation qui, conformément à l’art. 3 par. 4 de la directive, ne sont pas considérés comme relevant d’une utilisation normale du produit. La nullité du design devrait donc être prononcée par l’autorité allemande. Affaire à suivre.
Cet arrêt souligne une différence essentielle d’avec le droit suisse. En effet, la doctrine helvétique est unanime à considérer que la loi fédérale sur les designs n’exige pas que les caractéristiques essentielles d’un composant incorporé à un produit complexe soient visibles lors de l’utilisation normale du produit pour pouvoir être protégées par un design.
Cette divergence devra cependant être gardée à l’esprit lors de la gestion d’un portefeuille en matière de designs et d’éventuels enregistrements internationaux : des designs valables en Suisse ne le seront ainsi pas forcément au sein de l’Union Européenne.
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