Propriété intellectuelle

Noms de domaine Web3.0 : le nouveau danger pour les titulaires de marques

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I. Le système des noms de domaine


A une époque où le numérique est souvent devenu la porte d’entrée vers le monde réel, la titularité d’un nom de domaine est aujourd’hui un passage obligé.


Rappelons que chaque ordinateur connecté à Internet se voit attribué de manière temporaire ou durable une adresse IP. Difficile pourtant de se rappeler d’une suite de numéros comme 86.212.113.159.


En 1983 (hé oui, déjà !), un groupe de chercheurs composé de Jon Postel, Paul Mockapetris et Craig Patrige inventent une nouvelle architecture, le système des noms de domaine, ou DNS. Le DNS permet d’associer un nom compréhensible à une adresse IP. Ainsi l’adresse IP 216.58.217.206 est-elle reliée à Google.com.


S’il faudra des années au système des noms de domaine pour connaître le succès qu’on lui connaît, le développement du World Wide Web connaît un fort développement durant les années 1995-2000 avec l’apparition du commerce électronique.


Rapidement, des précurseurs entrevoient alors tout l’intérêt qu’il y a à enregistrer et s’approprier des noms de domaine correspondant peu ou prou à des marques connues. Le phénomène du cybersquatting prend son envol.


II. La résolution des conflits en matière de noms de domaine : la UDRP


Récupérer un nom de domaine usurpé ressemble toutefois au parcours du combattant. Sauf à trouver un accord avec le titulaire dudit nom et payer un montant conséquent, seule l’ouverture d’une action en justice rend cette récupération possible. Or, une telle action n’est pas sans embuche. A la question de savoir quel est le droit applicable et le tribunal compétent s’ajoute le manque d’expérience des magistrats qui découvrent cet animal bizarre qu’est le nom de domaine, sans compter la longueur des procédures et les coûts qui en résultent. Force est d’admettre que l’idée de récupérer un nom de domaine 2 ou 3 ans après l’ouverture d’une procédure judiciaire n’a rien de séduisant, ni d’efficient.


Conscient du problème, l’ICANN et l’OMPI conjuguent leurs efforts pour développer la procédure alternative qui connaîtra un succès sans précédent pour résoudre les litiges concernant des noms de domaine enregistrés en .com (pour l’essentiel) : la Uniform Domain Name Dispute Resolution Policy (UDRP), qui permet à un titulaire de marque de récupérer un nom de domaine usurpant sa marque en l’espace de deux mois et moyennant le versement d’une taxe somme toute modeste de USD 1’500. Avec près de 58’000 litiges résolus en vingt-deux ans, la UDRP connaît un succès qui ne s’est jamais démenti et qui, loin de s’éteindre, ne fait que se renforcer année après année. Beaucoup de juridictions s’en sont inspirées, en adoptant une procédure soit identique ou similaire à la UDRP.


III. Le Web 3.0


Après le Web 1.0 qui fut celui de la détention d’un site comme simple vitrine et le Web 2.0 que nous connaissons aujourd’hui qui est celui de l’interactivité, des plateformes et du contenu généré par les utilisateurs, les prémisses du Web 3.0 commencent à se faire s’entendre. De quoi s’agit-il ?


Sans entrer ici dans des détails techniques, le Web3.0 est celui qui va permettre aux utilisateurs non seulement de consulter un site Internet, mais d’être au cœur du site lui-même, lui procurant une immersion sans précédent reposant sur l’évolution de diverses technologies comme la réalité virtuelle ou augmentée.


L’une des particularités du Web3.0 en matière de gouvernance pourrait être son caractère décentralisé rendu possible par le protocole de la blockchain et ses diverses applications. Rappelons que l’une des caractéristiques du protocole de la blockchain réside non seulement dans le caractère intègre et authentique des données qui y sont contenues, mais aussi dans leur caractère irréversible.


C’est en raison de ce caractère irréversible que les cybersquatteurs pourraient trouver un terrain particulièrement propice à leurs activités. Pourquoi ?


IV. Les noms de domaine Web3.0


L’un des premiers domaines d’application de la blockchain réside on le sait dans les crypto-monnaies, comme le Bitcoin ou l’Ether pour ne citer que les deux plus connues parmi des milliers existant à ce jour.


Payer en crypto-monnaie requiert donc de connaître l’adresse du wallet du récipiendaire. Chaque portefeuille se trouve identifié par une suite de 42 caractères, comme 3FZbgi29cpjq2GjdwV8eyHuJJnkLtktZc5. Reconnaissons d’emblée que la mémorisation d’une telle adresse n’est pas plus simple que celle d’une adresse IP, loin s’en faut.


Si l’éventuelle adoption en masse des crypto-monnaies dépend de nombreux facteurs, il est certain que l’un d’entre eux réside en la possibilité de convertir ces suites de 42 caractères en un nom compréhensible, tout comme le DNS a permis de convertir nos adresses IP en noms de domaine.


C’est là que les noms de domaine Web3.0 interviennent. Des systèmes comme Ether Named Service ou Unstoppable permettent d’enregistrer de tels noms, sous des premiers niveaux comme .crypto, .eth, .bitcoin ou encore .nft.


Certes, à ce jour, leur utilité on en conviendra demeure limitée, ce d’autant plus que ces adresses ne sont pas repérées par le système des noms de domaine et fonctionnent de manière autonome et décentralisée. Rien n’exclut cependant qu’il le soit à moyen terme et puisse être lié à un site internet.


Or, ces noms de domaine Web3.0 présentent une particularité pour le moins inquiétante. Reposant sur le protocole de la blockchain, ils sont par essence irréversibles…


On imagine dès lors sans peine le terrain particulièrement propice pour les cybersquatteurs que représente cette nouvelle catégorie de noms de domaine. La UDRP ne leur est pas applicable, et toute action en justice apparaît largement vaine en raison du caractère irréversible dudit nom.


Seule demeure dès lors ouverte le bon vouloir du titulaire du nom de domaine Web3.0 de le transférer au légitime ayant-droit, ce qui ne se fera pas sans monnaie sonnante et trébuchante, une monnaie qui ne manquera certainement pas de faire trébucher certains titulaires au vu des montants astronomiques qu’ils pourraient être amenés à devoir débourser pour récupérer une identité irrécupérable sans un tel accord…


C’est dire que les titulaires de marques et autres signes distinctifs auraient tout intérêt à se lancer dans des enregistrements défensifs, sauf à aimer jouer au poker en comptant sur l’échec du Web3.0 et des crypto-monnaies sur lequel il reposera en partie, un pari à mon sens fort risqué…

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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