Restructuration d’entreprise

Entreprise face à des difficultés financières : à quoi faut-il faire attention ?

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Lorsqu’une société fait face à des problèmes de liquidités, il arrive souvent que des décisions soient prises de manière précipitée, dans l’urgence et sans avoir eu le temps de considérer les implications qu’elles peuvent avoir.


Or dans une situation de « crise », les administrateurs d’une société doivent se conformer à des exigences encore plus strictes, notamment en matière de gouvernance de l’entreprise.


Il faut donc veiller à différents aspects, qui ne seront évidemment pas traités ici de manière exhaustive :


a) Les poursuites notifiées :


Si la société n’est plus en mesure de s’acquitter de ses factures courantes, il est fort probable qu’elle soit voit notifier des poursuites. Il est alors primordial non seulement d’y faire opposition par écrit dans un délai de 10 jours dès la notification. Il faut aussi avoir à l’esprit qu’il est possible de faire usage de l’art. 8a al. 3 let. d LP, qui permet notamment de faire interdiction aux Offices des poursuites « de porter à la connaissance de tiers les poursuites pour lesquelles une demande du débiteur dans ce sens est faite à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la notification du commandement de payer ».


Grâce à cette disposition, la société débitrice peut donc demander à l’Office que certaines poursuites soient gardées confidentielles et qu’ainsi, l’extrait des poursuites n’en fasse pas état.


b) Les actes révocables :


Se pose ensuite la question de savoir comment s’acquitter de ses obligations financières envers ses créanciers sans commettre d’impairs.


L’action révocatoire est une action judiciaire tendant à ce qu’un actif qui est sorti du patrimoine du débiteur y soit réintégré au profit de tous les créanciers.


Cette action peut être intentée par le créancier porteur d’un acte de défaut de biens, par l’administration de la faillite, par un créancier cessionnaire ou encore par les liquidateurs d’un concordat pour abandon d’actifs.


Concrètement, la Loi sur la poursuite et la faillite liste toute une série d’actes dits « révocables » lorsqu’ils sont effectués par un débiteur surendetté ou dans l’année qui précède la saisie ou la faillite, notamment (art. 286 et 287 LP) :


  • Les actes par lequel le débiteur a accepté un prix notablement inférieur à la valeur de sa prestation ;
  • Les actes par lesquels le débiteur a constitué en sa faveur ou en faveur d’un tiers une rente viagère, un usufruit ou un droit d’habitation ;
  • Le paiement d’une dette non échue ;
  • Le paiement opéré autrement qu’en numéraire ou valeurs usuelles ;
  • Toute constitution de sûretés pour une dette existante que le débiteur ne s’était pas auparavant engagé à garantir ;


Enfin, sont révocables tous les actes faits par le débiteur dans les 5 ans qui précèdent la saisie ou la déclaration de faillite dans l’intention reconnaissable de porter préjudice ou de favoriser certains créanciers au détriment des autres. Il en va en particulier des actes faits en faveur de proches notamment (art. 288 LP).


Il faut donc veiller tout particulièrement au paiement des créances et à l’ordre de paiement de celles-ci. Il ne faut évidemment pas favoriser certains créanciers, mais au contraire chercher à s’acquitter de ses créances lorsqu’elles sont échues et de manière égale, sans accorder de traitement de faveur à certains partenaires contractuels.


Dans la pratique, il convient aussi de tenir compte des besoins urgents de la société pour continuer à fonctionner et à lui permettre de faire entrer des liquidités ; il est évident que si la société est privée de téléphone ou d’électricité, sa situation ne pourra qu’empirer. Dans de tels circonstances, le paiement de certaines charges courantes indispensables à la survie de la société ne semble donc pas pouvoir rentrer dans les actes révocables et constituer un avantage concédé à un créancier en particulier.


c) Le paiement des cotisations sociales :


Le paiement des cotisations sociales doit être une priorité pour tout administrateur.


En effet, au sens de l’art. 52 LAVS, lorsque l’employeur est une personne morale, les membres du conseil d’administration répondent personnellement et solidairement du non-paiement des cotisations AVS.


La responsabilité de l’employeur est ainsi engagée dès qu’il viole son obligation de retenir sur le salaire de son travailleur les cotisations dues. Même en situation financière difficile, l’employeur ne peut pas renoncer au paiement des cotisations sociales au prétexte de sauver l’entreprise (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_97/2013).


Le Tribunal fédéral a en effet retenu que « les administrateurs d’une société qui se trouve dans une situation financière désastreuse qui parent au plus pressé, en réglant les dettes les plus urgentes à l’exception des dettes de cotisations sociales, dont l’existence et l’importance leur sont connues, sans qu’ils ne puissent guère espérer, au regard de la gravité de la situation, que la société puisse s’acquitter des cotisations en souffrance dans un délai raisonnable commettent une négligence grave au sens de l’art. 52 LAVS » (cf. ATF 108 V 189 consid. 4).


Les organes de fait, à savoir les personnes qui ne figurent pas au registre du commerce mais qui ont exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société, sont subsidiairement responsables (cf. ATF 132 III 523).


Ainsi, l’administrateur suisse d’une société peut être certain qu’il sera personnellement recherché par la Caisse AVS en cas de non-paiement de cotisations sociales, à charge pour celui-ci de se retourner ensuite contre les autres administrateurs, ce qui peut s’avérer compliqué lorsqu’ils se trouvent à l’étranger.


d) Gouvernance :


Parmi les mesures de bonne gouvernance auxquelles il faut impérativement veiller, en particulier lorsque la société est en proie à des difficultés, il faut en priorité que le conseil d’administration document régulièrement les décisions qui sont prises dans le cadre de séances, dûment protocolées.


Ainsi, malgré le fait que le suivi de l’activité de la société puisse nécessiter de s’impliquer d’avantage, il faudra que les membres du conseil d’administration fassent preuve d’encore plus de rigueur et qu’ils s’astreignent à se réunir régulièrement et à formaliser leurs prises de décisions.


Ces mesures font partie du devoir général de diligence et de fidélité qui incombe aux administrateurs (art. 717 CO).


L’art. 725 CO impose en outre au conseil d’administration de surveiller la solvabilité de la société.


Si la société risque de devenir insolvable, le conseil d’administration prend des mesures visant à garantir sa solvabilité. Au besoin, il prend des mesures supplémentaires afin d’assainir la société ou propose de telles mesures à l’assemblée générale, pour autant qu’elles relèvent de la compétence de cette dernière. Le cas échéant, il dépose une demande de sursis concordataire.


Il sied de rappeler que le conseil d’administration doit agir avec célérité et qu’il faut donc impérativement prendre ces mesures, quand bien même il faut également en parallèle parer au « tout venant » de l’activité de la société.


En cas de perte de capital ou de surendettement, le conseil d’administration doit prendre toute une série de mesures supplémentaires découlant des art. 725a et 725b CO.


e) Risques pour les administrateurs en cas de faillite :


L’art. 754 CO consacre la responsabilité des personnes qui gèrent la société. Elle s’applique en première ligne à la société anonyme (SA), ainsi que par analogie à la société à responsabilité limitée (Sàrl).


Pour que cette responsabilité soit retenue, quatre conditions cumulatives doivent également être remplies, à savoir :


  • la personne recherchée a violé les devoirs qui lui incombaient, en particulier les devoirs de diligence et de fidélité ;
  • cette violation est fautive, c’est-à-dire commise intentionnellement ou par négligence ;
  • il en résulte un dommage pour la société ;
  • il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre la violation et le dommage qui en résulte ;


La faillite d’une société peut notamment découler de la mauvaise gestion de l’entreprise par ses organes, qui peuvent donc dans certains cas être tenus responsables si les quatre conditions précitées sont remplies.


Ces dispositions s’appliquent également aux organes de fait, à savoir les personnes qui sans être inscrites au registre du commerce ne disposent pas officiellement de la qualité d’organe, mais qui influencent de fait de manière décisive le processus décisionnel de la société. Selon le Tribunal fédéral, il s’agit notamment des personnes qui :


  • possèdent la compétence durable de prendre des décisions excédant l’accomplissement des tâches quotidiennes ;
  • dont le pouvoir décisionnel est propre et indépendant ; et
  • qui sont en mesure d’éviter la survenance du dommage.


Les administrateurs d’une société en difficulté, tout comme les personnes qui seraient considérées comme des organes de fait de celle-ci, ont donc tout intérêt à veiller à prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir la faillite de la société, et si celle-ci s’avère inévitable, pour démontrer qu’aucune faute ne peut leur être imputée dans la gestion de l’entreprise.

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