Droit des contrats

Contrats informatiques et marchés publics : quelques réflexions

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L’ensemble des administrations fait face à la numérisation croissante de leurs activités. Dans ce cadre, la Confédération, les cantons, les communes ou encore d’autres institutions publiques doivent couramment investir dans différents services et produits informatiques. Au vu des montants en jeu, le droit des marchés publics est le plus souvent applicable, ce qui signifie une mise en concurrence des prestataires et fournisseurs.


Les contrats informatiques posent toutefois certaines difficultés en droit des marchés publics :


a. La qualification du contrat


Premièrement, il convient de distinguer entre des prestations/services informatiques et des produits informatiques. Les relations contractuelles seront alors fondées soit sur un contrat de mandat soit sur un contrat de vente. Souvent, une combinaison de services et de produits est toutefois indispensable, de même que la création de solutions informatiques sur mesure, dans quel cas la relation tient du contrat d’entreprise.


A cet égard, il sied de relever que sur mandat de la Conférence des achats de la Confédération (CA), le Centre de compétence des marchés publics (CCMP) met désormais à disposition deux contrats-types, concernant respectivement les services informatiques et les prestations dans le domaine informatique et la maintenance de logiciels spécifiques. Il existe également des conditions générales type pour l’acquisition et la maintenance de logiciels standards.


Les soumissionnaires doivent ainsi veiller à vérifier attentivement les prestations ou produits qui sont attendus du pouvoir adjudicateur dans son appel d’offres, car ceux-ci détermineront les obligations et incombances contractuelles des parties une fois le marché adjugé.


b. La complexité particulière des appels d’offres IT


Deuxièmement, il convient de souligner la difficulté spécifique aux achats informatiques. L’évolution rapide des technologies et des produits disponibles ainsi que l’évolution des besoins des pouvoirs publics posent souvent des défis aux soumissionnaires.


Le droit des marchés publics ne fait pas de distinction entre les biens et services informatiques et les autres biens et services. Les valeurs seuils différentes qui s’appliquent en droit des marchés publics sont déterminées en fonction du type de marché (construction, fournitures ou services). Lorsque la valeur du marché à adjuger dépasse le seuil fixé, le projet doit faire l’objet d’un appel d’offres public.


Ce n’est que dans des situations particulières qu’un appel d’offres n’est pas possible et que l’on peut faire exception à l’obligation générale de procéder à un appel d’offres (art. 21 LMP). Dans le domaine informatique, la plupart des exceptions sont fondées sur les trois hypothèses suivantes (art. 21 al. 2 LMP), qui permettent à l’adjudicateur d’adjuger le marché de gré à gré, sans considération des valeurs seuils :


  • un seul soumissionnaire entre en considération en raison des particularités techniques ou artistiques du marché ou pour des motifs relevant de la protection de la propriété intellectuelle, et il n’existe pas de solution de rechange adéquate (let. c) ;
  • en raison d’événements imprévisibles, l’urgence du marché est telle que, même en réduisant les délais, une procédure ouverte, sélective ou sur invitation ne peut être menée à bien (let. d) ;
  • un changement de soumissionnaire pour des prestations destinées à remplacer, à compléter ou à accroître des prestations déjà fournies n’est pas possible pour des raisons économiques ou techniques ou entraînerait des difficultés importantes ou une augmentation substantielle des coûts (let. e) ;


Selon une étude de l’Université de Berne, 45% des marchés publics IT seraient passés de gré à gré, sans passer par une procédure d’appel d’offres, tant la solution qui répond aux besoins du pouvoir adjudicateur est unique. Dans un tel cas, le pouvoir adjudicateur doit veiller à ce que les conditions de la Loi sur les marchés publics et de l’AIMP en matière de gré à gré soient dûment remplies. Cela ne dispense cependant pas, en cas de procédures de gré à gré d’une valeur dépassant certains seuils, de publier les résultats de l’adjudication. En outre, la protection juridique doit aussi être garantie lors de ces adjudications de gré à gré. Des concurrents non retenus pourraient ainsi recourir contre la procédure choisie (acquisition de gré à gré au lieu d’un appel d’offres public) ou invoquer une application incorrecte du droit des marchés publics.


Pour les entités publiques, une autre difficulté réside dans l’identification de ses propres besoins. Si une entité ne dispose par exemple pas d’un service ou d’une personne compétente en matière informatique, il lui sera d’autant plus difficile de préparer un appel d’offres. Dans un tel cas, il serait recommandé de s’adjoindre les services d’un mandataire externe spécialisé, capable d’identifier les lacunes et besoins de l’entité en question.  


Pour les soumissionnaires, la difficulté réside premièrement dans la compréhension des attentes et du fonctionnement interne de l’entité publique. La formulation de l’offre demande aussi un investissement en temps considérable, souvent plus important que dans d’autres domaines, comme la construction. En effet, des solutions sur mesure doivent être proposées et nécessitent en réalité un travail conséquent en amont de la part des soumissionnaires. Selon l’étude précitée, les fournisseurs IT consacreraient en moyenne 49 heures à la rédaction d’une offre de hardware, 70 heures pour un logiciel standard et 240 heures pour une solution individualisée.


c. La construction de l’appel d’offres


Troisièmement, les marchés publics IT posent des questions en termes de construction de l’appel d’offres. En effet, il est fréquent de voir certains marchés adjugés en lots séparés, qui distinguent le service de base, de la maintenance, voire même des licences nécessaires à l’exploitation d’un système IT. Une telle distinction peut s’avérer toutefois impossible à mettre en pratique, deux soumissionnaires différents ne pouvant travailler conjointement en séparant la licence de l’entretien ou la maintenance d’un logiciel, pour des motifs relevant de la propriété intellectuelle (NB : pour l’acquisition de logiciels, il convient souvent de distinguer entre logiciels ouverts et logiciels fermés ou propriétaires. Les solutions logicielles peuvent ainsi comprendre différents composants et impliquer des modèles de licences mixtes).


Les pouvoirs adjudicateurs doivent ainsi construire leur appel d’offres en anticipant de tels problèmes, de nature technique ou juridique.


d. Les critères de durabilité


Enfin, il convient de garder à l’esprit que le nouveau droit des marchés publics prévoit des critères de durabilité (écologique et sociale par exemple), ce qui implique que les solutions ou prestations proposées devraient être durables. Dans un domaine qui évolue à grande vitesse, où la maintenance et les mises à jour sont parfois plus importantes que la prestation ou le produit de base, ces aspects doivent être pris en compte. Il peut également s’avérer économiquement et écologiquement plus judicieux de faire évoluer des systèmes déjà existants, pour lesquels des investissements importants ont été consentis, que de changer systématiquement pour une solution différente et nouvelle. Ce choix pourrait également se justifier pour préserver les mesures organisationnelles mises en place par le pouvoir adjudicateur, pour lesquels des moyens importants sont souvent mis en place (formation des collaborateurs, organisation interne, archivage, etc.).


Le cadre légal du droit des marchés publics reste donc un cadre général, dans lequel il convient de veiller aux spécificités qui se posent lorsqu’il s’agit de contrats informatiques.

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