Comme Me Bolomey l’a expliqué dans son article intitulé « Faillite d’une entreprise : quelle est la responsabilité des administrateurs ? », la responsabilité des administrateurs peut être retenue en cas de faillite de l’entreprise notamment en cas d’omission de payer les cotisations aux assurances sociales.
Cette problématique du non-paiement des cotisations sociales, qui peut porter sur des montants très importants, mérite d’être approfondie ici.
Le siège de la matière en Suisse est la Loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS) du 20 décembre 1946. En Suisse, sont obligatoirement assurées aux assurances sociales les personnes physiques qui exercent en Suisse une activité lucrative (article 1a LAVS).
Pour ces personnes obligatoirement assurées, tous les employeurs ayant un établissement stable en Suisse ou occupant dans leur ménage l’une de ces personnes sont tenus de payer des cotisations (article 12 LAVS). Il existe quelques exceptions prévues par conventions internationales.
La LAVS prévoit deux types de responsabilité en cas de non-paiement des cotisations sociales : une responsabilité civile et une responsabilité pénale. Ces deux responsabilités peuvent se cumuler en ce sens que les personnes responsables peuvent être recherchées et au civil et au pénal.
S’agissant de la responsabilité civile, l’article 51 LAVS rappelle que « les employeurs doivent retenir la cotisation du salarié sur tout salaire au sens de l’art. 5, al. 2 ». Le salaire déterminant « comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé » et « englobe les allocations de renchérissement et autres suppléments de salaire, les commissions, les gratifications, les prestations en nature, les indemnités de vacances ou pour jours fériés et autres prestations analogues, ainsi que les pourboires, s’ils représentent un élément important de la rémunération du travail ».
En vertu de l’article 52 LAVS, l’employeur est responsable civilement et est tenu à réparation s’il n’observe pas intentionnellement ou par négligence grave, « des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance ».
Toujours selon cet article, « si l’employeur est une personne morale, les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage. ».
« L’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites ».
Elle se prescrit donc par « trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ». En cas d’acte punissable au niveau pénal, c’est le délai de prescription de l’action pénale qui s’applique et si la prescription de l’action pénale ne court plus parce qu’un jugement de première instance a été rendu, l’action civile se prescrit au plus tôt par trois ans à compter de la notification du jugement pénal.
En d’autres termes, en cas de non-paiement des cotisations sociales, si l’employeur est une personne morale, les administrateurs de celle-ci mais également toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation, peuvent être tenus, solidairement ou non, de réparer tout ou partie du dommage et peuvent faire l’objet d’une procédure civile en responsabilité et en réparation du dommage.
La subsidiarité signifie cependant que la caisse AVS devra d’abord s’en prendre à l’employeur et donc la personne morale avant de pouvoir s’en prendre aux organes. La caisse pourra le faire et il y aura un dommage notamment si la société fait faillite et que les cotisations sociales n’ont pas été versées à la caisse AVS et ne peuvent plus l’être.
Le Tribunal fédéral a, à plusieurs reprises, qualifié la notion d’employeur et de personnes responsables lorsque l’employeur est une personne morale.
Pour le Tribunal fédéral (notamment arrêt du TF 132 III 523), si « l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom […].
Dans le cas d’une société anonyme, la notion d’organe responsable selon l’art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui ressort de l’art. 754 al. 1 CO […]. La responsabilité incombe donc non seulement aux membres du conseil d’administration, mais aussi aux organes de fait […], c’est-à-dire à toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante […]
Dans cette dernière éventualité, il faut cependant que la personne en question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l’empêcher, en d’autres termes qu’elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société […]
Pour que l’organe, formel ou de fait, soit tenu de réparer le dommage causé à la caisse de compensation en raison du non-paiement des cotisations sociales, encore faut-il que les conditions d’application de l’art. 52 LAVS […] soient réalisées, ce qui suppose que l’organe ait violé intentionnellement ou par une négligence grave les devoirs lui incombant et qu’il existe un lien de causalité adéquate entre le manquement qui lui est imputable et le préjudice subi […] »
La négligence grave mentionnée à l’art. 52 LAVS est admise de manière très large par la jurisprudence.
Se rend notamment « coupable d’une négligence grave l’employeur qui ne respecte pas la diligence que l’on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d’un employeur de la même catégorie ».
Les exigences sont encore plus sévères s’agissant d’une société anonyme.
Pour le Tribunal fédéral, « dans le cas d’une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l’attention que la société doit accorder, en tant qu’employeur, au respect des prescriptions de droit public sur le paiement des cotisations d’assurances sociales. Les mêmes exigences s’imposent également lorsqu’il s’agit d’apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur […].
Par exemple, les administrateurs d’une société qui se trouve dans une situation financière désastreuse qui parent au plus pressé, en réglant les dettes les plus urgentes à l’exception des dettes de cotisations sociales, dont l’existence et l’importance leur sont connues, sans qu’ils ne puissent guère espérer, au regard de la gravité de la situation, que la société puisse s’acquitter des cotisations en souffrance dans un délai raisonnable commettent une négligence grave au sens de l’art. 52 LAVS ».
Ainsi, celui qui appartient au conseil d’administration d’une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l’acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs.
Dans un arrêt du 31 mai 20216 (9C_722/2015), le Tribunal fédéral a confirmé la responsabilité d’un administrateur qui était en réalité un « homme de paille ».
Le Tribunal fédéral a retenu que celui-ci reconnaissait avoir été un « homme de paille ». « Une telle situation est précisément inadmissible, car celui qui se déclare prêt à assumer ou à conserver un mandat d’administrateur d’une société anonyme, tout en sachant qu’il ne pourra pas le remplir consciencieusement, viole son obligation de diligence […]. En n’exerçant aucune surveillance, le recourant a donc commis une négligence qui doit, sous l’angle de l’art. 52 LAVS, être qualifiée de grave […]. le fait de ne pas être en mesure d’exercer ses fonctions, parce que la personne morale est dirigée en fait par d’autres personnes, ou d’accepter un mandat à titre fiduciaire, ne constitue pas un motif de suppression ou d’atténuation de la faute commise ».
S’agissant d’une éventuelle limite dans le temps de la responsabilité, pour le Tribunal fédéral (9C_713/2013, 9C_716/2013), « c’est la démission effective de l’organe qui fixe en principe les limites temporelles de la responsabilité […].
Un administrateur ne peut alors être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement des cotisations qui sont venues à échéance et qui auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d’administration et celui où il a quitté effectivement ses fonctions, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires. Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d’actes qui n’ont déployé leurs effets qu’après le départ du conseil d’administration
S’agissant de la responsabilité pénale, en vertu de l’article 87 LAVS, est puni d’une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit frappé d’une peine plus lourde notamment :
Comme mentionné ci-dessus, la responsabilité civile et la responsabilité pénale peuvent se cumuler en ce sens que les personnes responsables peuvent être recherchées et au civil et au pénal. Comme Me Bolomey l’a relevé dans son article, la responsabilité des administrateurs est une question complexe et les conséquences peuvent être lourdes s’agissant du non-paiement des cotisations sociales. En cas de difficulté financière de l’entreprise mais également lorsqu’une personne accepte un mandat d’administrateur, il est conseillé de s’assurer que les cotisations sociales ont bien été versées et la soussignée conseille fortement de les payer en priorité si cela est possible pour éviter une responsabilité civile et une responsabilité pénale personnelles.
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