Droit des contrats

L’adaptation des contrats soumis au droit américains face aux changements imprévus : Les tarifs douaniers américains imposés aux sociétés suisses

   1.  Introduction


Selon les droits de douane annoncés par le gouvernement américain le 2 avril 2025, tous les produits suisses exportés vers les États-Unis devaient être soumis à des droits de douane de 31 ou 32 %. Ainsi, la Suisse serait confrontée à des droits de douane supplémentaires particulièrement élevés par rapport à d’autres partenaires commerciaux des États-Unis (UE : 20 %, Royaume-Uni : 10 %, Japon : 24 %). Même si une suspension de 90 jours a été décrétée par l’administration américaine pendant laquelle seul un tarif de 10% s’appliquera aux exportations suisses vers les Etats-Unis, la situation demeure incertaine pour l’avenir.


Si des tarifs de 31 ou 32% devaient véritablement être appliqués aux sociétés suisses exportant aux Etats-Unis au terme de la suspension de 90 jours, certaines de ces sociétés seraient alors tentées de résilier ou de faire modifier certains contrats conclus avec des partenaires commerciaux américains.


Mais est-ce que cela est possible, et, si oui, sur quelle base ?


En droit suisse, bien qu’il existe un principe de la force obligatoire des contrats (pacta sunt servanda), l’on admet dans des circonstances exceptionnelles une révision des contrats fondée sur le principe de la bonne foi (art. 2 CC) et la théorie dite de la “clausula rebus sic stantibus”, laquelle est souvent appliquée en pratique. Les parties au contrat décident souvent d’inclure des clauses contractuelles connues sous le nom de la hardship clause ou de la material adverse change (MAC) clause. Les éléments principaux de ces clauses ont été présentés dans un article précédent (MAC – hardship, clausula rebus sic stantibus – Kesako? | Wilhelm Avocats).


Toutefois, dans la pratique, la plupart des contrats entre des sociétés suisses et américaines prévoient un for à New York (US) ainsi que l’application du droit américain (droit de l’Etat de New York) à l’exclusion la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandise (CVIM/CISG).


Dans un tel cas, les sociétés suisses soumis à des tarifs de 31 voire 32% peuvent-elles également invoquer des défenses contractuelles similaires au droit suisse en vertu du droit de l’Etat de New York ?


   2.  La force majeure en vertu du droit de l’État de New York


En vertu du droit de l’État de New York, la force majeure est le meilleur moyen de défense contractuel lorsqu’une partie souhaite obtenir une modification du contrat : elle ne s’applique cependant que si le contrat contient effectivement une clause de force majeure. En effet, il n’existe pas de doctrine générale de la force majeure en common law. En vertu de la Parol Evidence Rule, laquelle protège la primauté du contrat écrit comme reflet fidèle de la volonté des parties, les tribunaux américains interprètent ces clauses de force majeure de manière restrictive, en se basant strictement sur la formulation utilisée.


En règle générale, la clause de force majeure dispense généralement une partie de son obligation d’exécution lorsqu’un événement imprévu indépendant de sa volonté rend l’exécution impossible ou irréalisable.


   3.  Conditions pour l’application de force majeure aux droits de douanes


a. Clause de force majeure suffisamment déterminée


Les droits de douane peuvent tomber sous le coup d’une clause de force majeure si la clause peut être interprétée de manière large, c’est-à-dire si elle inclut des termes tels que « government actions », « acts of authorities », « changes in law », « import/export restrictions » ou « tariffs », alors oui, l’imposition de tarifs douaniers pourrait potentiellement être considérée comme un cas de force majeure.


Cependant, si seuls des termes génériques sont utilisés, les chances qu’un tribunal américain applique la clause de force majeure aux tarifs sont relativement minces.


b. Prévisibilité (Forseeability)


Les tribunaux de New York vont ensuite examiner si les tarifs douaniers étaient raisonnablement prévisibles au moment de la conclusion du contrat. Si un contrat a été signé après le début de la guerre commerciale ou après que les menaces de droits de douane ont été rendues publiques, les tribunaux auront plutôt tendance à rejeter l’application de la clause de force majeure.


c. Impossibilité vs. augmentation des coûts (Impossibility vs. Increased Cost)


Le prochain point que les tribunaux de New York vont examiner est si les tarifs douaniers entrainent simplement une augmentation des coûts et donc la réduction de la rentabilité, ou si, au contraire, ils rendent l’exécution du contrat impossible. D’une manière générale, les tribunaux de New York sont réticents à excuser l’exécution du contrat uniquement en raison de l’augmentation des coûts ou de la réduction de la rentabilité. Les droits de douane qui rendent simplement l’exécution plus coûteuse peuvent ne pas suffire – ils doivent la rendre véritablement impraticable ou impossible.


Dans le cas particulier de la Suisse, les droits de douane sont significativement plus élevés que les droits de douane appliqués à d’autres pays, nous sommes d’avis que les tribunaux de New York auront plus tendance à admettre une impossibilité.


d. Atténuation (Mitigation)


Enfin, les tribunaux de New York examineront si les parties au contrat ont tout fait pour atténuer les conséquences des tarifs douaniers. En effet, les parties sont censées entreprendre des démarches actives pour atténuer l’impact, par exemple en cherchant d’autres fournisseurs ou en ajustant leurs structures de prix. Si la partie qui se base sur la clause de force majeure n’a rien entrepris en ce sens, les tribunaux de New York auront tendance à rejeter l’application de la clause de force majeure.


   4.  Conclusion


En résumé, il sied de conclure qu’il est possible, pour une entreprise suisse ayant signé un contrat soumis au droit américain et aux juridictions de l’Etat de New York avec un acheteur américain, de faire valoir une clause force majeure.


Il faut cependant que cette clause inclue des termes tels que « government actions », « acts of authorities », « changes in law », « restrictions à import/export restrictions » ou « tariffs ».


Il faut ensuite également que la société suisse démontre que (i) les tarifs n’étaient pas prévisibles, (ii) qu’ils sont de nature à rendre le contrat véritablement impraticable ou impossible et (iii) qu’elle a pris toutes les mesures à sa disposition pour mitiger les conséquences des tarifs douaniers.


Si les Tribunaux de New York devaient arriver la conclusion que la force majeure ne s’applique pas, les parties peuvent encore tenter de faire appliquer (i) la notion de l’impraticabilité (impracticability) en vertu de l’UCC § 2-615, pour les contrats impliquant la vente de marchandises, (ii) la doctrine of frustration of purpose, bien qu’elle soit rarement par les tribunaux de New York, ou encore (iii) les hardship clauses, si elles sont incluses dans le contrat (bien que plus courantes dans les juridictions de droit civil).


En définitive, il est préférable de consulter un avocat pour analyser en amont les chances de succès d’une telle démarche.

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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