Droit des sociétés

La forme juridique d’une personne morale exerce une forte influence sur sa gouvernance. Le cas du World Economic Forum (WEF)

On oublie trop souvent que la gouvernance d’une personne morale est fortement influencée par sa forme juridique.


Ainsi, on ne gouverne pas une société anonyme comme on gouverne une société à responsabilité, une association, une coopérative ou une fondation.


La crise qui a surgit au sein du WEF, le FORUM MONDIAL DE L’ECONOMIE, nous l’a rappelé encore récemment.


Rappelons que les médias se sont faits les critiques du maintien en fonction du fondateur du WEF, M. Klaus Schwab, malgré des reproches de dysfonctionnement et de violations des règles internes d’éthique.


Notre propos n’est pas ici d’apporter un quelconque jugement sur cette crise de gouvernance, mais d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que cette crise a été, selon nous, accentuée par la forme juridique du WEF organisée en fondation de droit privé suisse.


Nous pensons en effet que si le WEF avait été organisé différemment, par exemple sous la forme d’une association, il n’aurait pas connu la crise qu’il a dû récemment affronter car il aurait trouvé en son sein les ressources nécessaires et le mécanisme de gouvernance qui lui aurait permis soit de l’éviter, soit de la résoudre sans s’exposer au feu des critiques médiatiques.


En effet, le WEF, ou le Forum, sous la raison sociale Le FORUM MONDIAL DE L’ECONOMIE, est une fondation de droit suisse.


En droit suisse, une fondation est une personne morale de droit public ou privé qui a pour objet l’affectation de biens en faveur d’un but spécial.


Le code civil suisse stipule à ses articles 80 à 89c les dispositions applicables à ce type de personne morale. Ces dispositions légales sont très courtes et posent le principe fondamental de la liberté du fondateur. Cette liberté se limite toutefois à la constitution de la fondation et aux règles de ses statuts. Une fois constituée, la fondation ne peut plus guère être modifiée par son fondateur.


L’organe principal de la fondation est le conseil de fondation. Sa tâche principale consiste à s’assurer de l’affectation conforme des biens de la fondation au but du fondateur. Il veille également à la bonne conduite et à la gestion globale de la fondation en véritable entrepreneur.


A l’inverse de l’association, la fondation a pour particularité d’être dépourvue de membres à qui elle doit rendre des comptes. Elle n’a pas non plus d’actionnaires qui se réunissent en assemblée générale pour élire ou révoquer les administrateurs.


La fondation est soumise à une autorité de surveillance, soit au niveau cantonal, soit au niveau fédéral. Selon l’alinéa 2 de l’article 84 du code civil suisse, l’autorité de surveillance pourvoit à ce que les biens des fondations soient employés à leur destination. Ni plus ni moins. L’autorité de surveillance veillera à ne pas s’immiscer dans la gestion de la fondation. Elle approuvera les modifications des statuts de la fondation. Elle prendra connaissance des rapports périodiques que le conseil de fondation veillera à lui adresser. Elle palliera aux défauts dans l’organisation de la fondation mais uniquement lorsque cette mesure est absolument nécessaire pour conserver les biens ou pour maintenir le but de la fondation (article 85 CC).


On le voit, la forme juridique de la fondation de droit suisse n’offre que peu de souplesse. Elle est faite pour durer. Sa gouvernance est soumise aux termes de ses statuts et aux décisions de son conseil de fondation, seul organe exécutif de la fondation. Sa forme juridique est très difficilement adaptable aux aléas de l’évolution d’un marché économique ou de changements de conditions sociales ou politiques. Elle ne peut être dissoute que sur décision de l’autorité de surveillance, ce qui peut arriver très rarement car uniquement si son but ne peut objectivement plus être atteint, ou si sa fortune ne suffit plus à atteindre son but. 


Qu’en est-il dans le cas précis du WEF ?


Le WEF est une fondation de droit suisse soumise aux articles 80 et suivants du code civil suisse et qui se définit comme une organisation internationale non gouvernementale au sens des articles 24 et 25 de la loi fédérale suisse sur l’Etat-hôte. Ce statut est reconnu et protégé par l’Accord de Siège du 23 janvier 2015 entre le Forum et le gouvernement suisse. Le Conseil fédéral lui garantit une totale indépendance et une liberté d’action. Il l’exonère de l’impôt fédéral direct.


Selon l’article 4 de ses statuts, « Le Forum est d’utilité publique et ne poursuit aucun but lucratif. Le Forum est indépendant et ne défend pas d’intérêts particuliers du point de vue politique ou idéologique. Dans ses activités, le Forum fait preuve en toutes circonstances d’indépendance et d’impartialité ».


Selon l’article 9, des statuts, les organes du Forum sont :


  • 1. Le Conseil de Fondation
  • 2. Les Comités du Conseil de Fondation, soit : a) Le Comité de Direction b) Autres Comités, y inclus un Comité de Contrôle et de Risques
  • 3. Le Président et la Direction générale
  • 4. L’organe de révision


1. Le conseil de fondation du WEF se compose d’un maximum de 36 membres.


Selon l’’article 11 des statuts « Le Conseil de Fondation est composé de jusqu’à 36 personnalités du monde économique, politique, académique et civil, qui s’identifient particulièrement avec la mission du Forum et qui contribuent à travers leurs engagements actifs à la réalisation de ses objectifs. M. Klaus SCHWAB qui a créé le Forum, ou au moins un membre de sa propre famille, désigné par elle-même, est membre du Conseil de Fondation. Le Fondateur désigne lui-même son propre successeur au Conseil, et ainsi de suite pour la succession de ce dernier. A défaut, le Conseil de Fondation tranche. »


« Le Conseil de Fondation nomme ses membres et élit parmi ses membres le Président et le(s) Vice-Président(s). Le Président de la Direction générale est d’office membre du Conseil de Fondation. Le procédé spécifique concernant la nomination des membres du Conseil de Fondation, leur représentation et la durée du mandat, est stipulé dans le Règlement.


Il prend ses décisions à la majorité relative des membres présents à la réunion. En cas d’égalité, le vote du Président, soit M. Klaus Schwab, l’emporte.


Il n’existe pas de dispositions statutaires limitant la durée des fonctions des membres du Conseil de fondation.


Selon l’article 12, le Conseil de Fondation dispose des compétences suivantes non cessibles :


  1. agir comme le Conseil de Fondation et le gardien de la mission, du statut, des valeurs et de l’intégrité du Forum
  2. approuver le cadre stratégique du Forum, comme proposé par le Comité de Direction
  3. nommer les membres des Comités, leurs Présidents et Vice-Présidents suite aux propositions du Comité de Direction
  4. nommer le Président de la Direction générale suite à la proposition du Comité de Direction
  5. nommer l’organe de révision suite à la proposition du Comité de Contrôle et de Risques
  6. déterminer les droits de signature et de représentation du Forum suite à la proposition du Comité de Direction
  7. approuver le rapport annuel du Forum suite à la proposition du Comité de Direction
  8. approuver les comptes annuels du Forum suite à la proposition du Comité de Contrôle et de Risques.


2. Le Comité de Direction du WEF se compose de cinq à sept membres élus par le Conseil de Fondation mais au moins du Président du Conseil de Fondation, du Président de la Direction générale et du Fondateur ou un membre de sa famille.


Ses compétences statutaires sont celles que lui délègue le Conseil de fondation et sont les suivantes (article 14 des statuts) :


  1. élaborer le Règlement qui définit les droits, les devoirs et les compétences des différents organes du Forum et les soumettre au Conseil de Fondation pour approbation
  2. proposer au Conseil de Fondation des candidatures pour les nouveaux membres du Conseil de Fondation et de ses Comités
  3. déterminer le cadre stratégique du Forum et le soumettre au Conseil de Fondation pour approbation
  4. déterminer au sein du cadre stratégique des stratégies spécifiques pour le Forum sur la base des propositions du Président de la Direction générale
  5. proposer le candidat pour Président de la Direction générale pour approbation par le Conseil de Fondation et déterminer sa rémunération
  6. nommer et révoquer les membres de la Direction générale suite à la proposition du Président
  7. soumettre le rapport annuel au Conseil de Fondation pour son approbation
  8. approuver le budget suite à la proposition du Président de la Direction générale
  9. approuver suite à la proposition du Président de la Direction générale les chartes définissant les droits et les obligations des différentes catégories de communautés associées (voir article 5)
  10. approuver les accords d’affiliation (voir article 6)
  11. approuver suite à la recommandation du Président de la Direction générale le cadre pour le programme académique (voir article 7)
  12. acquérir ou céder des biens immobiliers
  13. approuver les transactions financières importantes.


Le Comité de Direction nomme un Comité de Contrôle et de Risques de parmi ses membres. Le Comité de Contrôle et de Risques s’assurera que la comptabilité et les activités du Forum sont en tout temps en conformité avec les lois et les règles applicables ainsi qu’avec les meilleures pratiques. Le Comité de Contrôle et de Risques s’assure de plus que les risques du Forum soient correctement identifiés et gérés.


Les autres organes du WEF sont :


3. Le Président de la Direction générale qui est nommé par le Conseil de Fondation suite à la recommandation du Comité de Direction. Le Président dirige et guide la Direction générale. Des tâches et compétences spécifiques du Président peuvent être définies dans le Règlement du Forum.


La Direction générale qui est responsable pour la direction exécutive du Forum et dont les membres sont nommés et révoqués par le Comité de Direction suite à la recommandation du Président.


4. Un organe de révision indépendant extérieur au Forum qui vérifie les bilans et les comptes du Forum et soumet chaque année un rapport écrit au Conseil de Fondation après consultation avec le Comité de Contrôle et de Risques.


M. Klaus SCHWAB s’est réservé dans les statuts une place prépondérante.


Il est expressément désigné comme le Fondateur du WEF.


Le Préambule des statuts précise à ce titre que :


« Le Forum fut créé par Klaus Schwab le 29 janvier 1971 ; depuis lors, ses statuts furent modifiés à plusieurs reprises. Au cours des années, le Forum émergea comme une plateforme globale unique, à travers laquelle des agendas globaux, régionaux et industriels sont formés par les personnalités dirigeantes du monde provenant de l’économie, des gouvernements, du monde universitaire et de la société civile. Le 23 janvier 2015, le Forum et le gouvernement suisse ont conclu un accord de siège sous la loi suisse sur l’État hôte à travers lequel le statut du Forum fut officiellement reconnu ».


M. Klaus SCHWAB est membre de droit du Conseil de Fondation et désigne lui-même son propre successeur au Conseil, et ainsi de suite pour la succession de ce dernier. L’article 11 des statuts prévoit d’ailleurs que « M. Klaus SCHWAB qui a créé le Forum, ou au moins un membre de sa propre famille, désigné par elle-même, est membre du Conseil de Fondation ».


M. Klaus SCHWAB est sans interruption le Président du Conseil de Fondation du WEF depuis la constitution de celui-ci, soit depuis le 29 janvier 1971. A ce titre, il a voix prépondérante en cas d’égalité.


M. Klaus SCHWAB est en outre membre de droit du Comité de Direction.


Enfin, il convient de citer les dispositions statutaires décrivant les ressources économiques du WEF.


Ainsi, selon l’article 8 des statuts « Lors de sa création, le Forum fut doté d’un capital initial de 25’000 francs. Pour l’essentiel, le financement est assuré par des cotisations annuelles des communautés associées et leurs contributions aux frais des services qui leur sont assurés. Le Forum peut accepter des dons, legs, allocations et toutes autres contributions ou subventions de tiers, à condition qu’ils n’entrent pas en contradiction avec sa mission (voir article 3 des Statuts), qu’ils ne portent pas préjudice à son indépendance et ne soient pas liés à un objectif contraignant pour elle. Afin de garantir à long terme son autonomie, le Forum doit s’efforcer de créer des réserves suffisantes pour assurer son développement et son indépendance. Le Forum utilise les fonds mis à sa disposition en pratiquant une politique prudente de gestion de fortune. En cas de nécessité, le capital du Forum peut être raisonnablement réduit. »


Au vu de ce qui précède, force est de constater qu’en cas de crise, la forme juridique de la fondation est peu appropriée à sa résolution.


Le WEF n’est pas un forum gouverné démocratiquement. Ses organes brièvement décrits ci-dessus ne reflètent pas le principe de l’équilibre de différents pouvoirs. Le Conseil de fondation n’a pratiquement pas de comptes à rendre, si ce n’est à l’autorité de surveillance mais uniquement pour confirmer le bon respect de ses statuts qu’il a lui-même rédigés.


Les statuts du WEF accentuent encore ce biais en conférant à M. Klaus Schwab un rôle central. Si celui-ci défaille, il n’existe pas dans les statuts de dispositions pouvant permettre au Conseil de fondation de palier à ces défaillances. L’autorité de surveillance ne pourra pas intervenir. C’est en dehors de sa mission.


Considérant que le WEF vit des contributions ou des « cotisations annuelles » des « communautés associées », considérant que le WEF se veut une plateforme, un lieu d’échanges, un carrefour où se fréquente ces différentes « communautés associées », ne faudrait-il pas davantage impliquer ces communautés en leur permettant d’être davantage associées à la vie du WEF ?


Sans blâmer quiconque, nous pensons que le WEF est aujourd’hui parvenu à un tournant dans son existence et dans son organisation. La crise récente a montré combien sera difficile l’inévitable succession de M. Klaus Schwab. La rigidité de sa forme juridique et de son organisation en fait à l’heure actuelle un colosse aux pieds d’argiles. Pour éviter de perdre en crédibilité et devoir traverser une encore plus grave crise de confiance, nous estimons qu’il doit s’ouvrir et se doter d’institutions plus « démocratiques ». Il pourra ainsi mieux assumer son rôle d’organisation internationale non gouvernementale et prendre en compte ses contributeurs comme ses véritables membres. En bref, il doit sortir de la gangue trop étroite que lui impose son statut de fondation pour se réinventer pour lui permettre de remplir son but encore plus efficacement et surtout de manière plus moderne.

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