Droit du travail

Télétravail : les employés ont-ils droit à une indemnisation ?

Le télétravail a été au cœur de l’actualité la semaine passée. La question du télétravail et de son indemnisation en lien avec le Covid-19 a été abordée dans le JT de 19h30. Le télétravail de manière plus générale a fait l’objet d’un article dans Le Matin Dimanche du 31 juin 2020. Les titres suivants ont également pu être vus dans certains médias : « Télétravail : les employeurs doivent dédommager leurs salariés » ou encore « L’employeur doit participer au paiement du loyer des employés » en référence à un arrêt « *récent » du Tribunal fédéral. Ces titres omettent de mentionner un élément essentiel et il semble utile de faire un bref point de la situation s’agissant de l’indemnisation par l’employeur.


L’arrêt du Tribunal fédéral dont il est question est un arrêt qui date du 23 avril 2019, soit d’il y a plus d’une année, Cet arrêt n’a donc aucun rapport avec la situation liée au Covid-19 qui a contraint un nombre très important d’employés à faire du télétravail.


Dans cet arrêt (TF 4A_533/2018), le Tribunal fédéral a effectivement confirmé que l’employeur, soit en l’espèce une fiduciaire, devait prendre en charge une partie des frais de logement de l’employé sous la forme d’une indemnité car celui-ci utilisait une partie de son logement privé pour son travail.


Le Tribunal fédéral a en effet confirmé que, dans le cas qu’il a jugé, les frais, soit une partie du loyer, bénéficiaient indirectement à l’employeur à l’instar de l’employé qui utilise son véhicule privé à des fins professionnels.


Cependant, ce que les titres mentionnés ci-dessus passent sous silence et qui est un élément essentiel est le fait que, dans le cas qui a été jugé, l’employé ne disposait pas d’un lieu ou d’une place de travail approprié dans les locaux de l’employeur. De plus, l’employé était tenu d’utiliser une partie de son logement pour entreposer les archives de l’employeur.


En d’autres termes, le Tribunal fédéral a considéré que l’employeur devait participer aux frais de logement de l’employé car il ne lui offrait pas une place de travail appropriée et que ce dernier devait utiliser une pièce de son logement comme bureau mais également comme pièce d’archives.


Si l’employé avait bénéficié d’une place de travail dans les locaux de l’employeur et n’avait pas dû conserver tout ou partie des archives, la solution du Tribunal fédéral aurait certainement été différente.


Dans un arrêt plus ancien, soit de 2004 (TF 4C.315/2004), le Tribunal fédéral a rappelé que, en vertu de l’article 327a al. 1 du Code des obligations (CO), l’employeur rembourse au travailleur tous les frais imposés par l’exécution du travail et, lorsque le travailleur est occupé en dehors de son lieu de travail, les dépenses nécessaires pour son entretien. Les frais imposés par l’exécution du travail comprennent toutes les dépenses nécessaires, occasionnées par le travail. […]. Le travailleur ne peut faire valoir à ce titre des dépenses d’agrément ou de formation professionnelle générale non expressément prises en charge par l’employeur […]. Il appartient au travailleur d’apporter la preuve de la nécessité des dépenses, sans que l’employeur puisse à cet égard poser d’exigences excessives ».


Sur la base de cette jurisprudence de 2004, la plupart des auteurs suisses considèrent que, si l’employé préfère, pour des raisons de convenance personnelle, travailler depuis son domicile alors qu’il peut utiliser un bureau mis à sa disposition sur son lieu de travail, il n’a droit à aucune indemnisation pour la chambre qu’il utilise (Philippe Carruzzo, Le contrat individuel de travail, Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations, Genève 2009, Schulthess, ad. art. 327a, p. 256).


Selon l’auteur soussigné, l’arrêt du Tribunal fédéral de 2019 ne contredit pas cet arrêt de 2004.


S’agissant de la situation en lien avec le Covid-19, il n’y a encore aucun avis et bien entendu aucune jurisprudence.


Cependant, si l’on applique les deux jurisprudences susmentionnées, il semble que l’employé, qui aurait pu continuer à travailler sur son lieu de travail mais choisit de faire du télétravail par convenance personnelle ou par crainte (voire même pour suivre les recommandations du conseil fédéral ou l’OFS),n’a pas droit à une indemnisation (sauf bien évidemment si le contrat de travail ou un accord prévoit une telle indemnisation) si son employeur continue à lui fournir une place de travail appropriée.


La question suivante peut alors se poser : qu’entend-t-on par place de travail appropriée ? Est-ce qu’une place, qui ne respecte pas les recommandations en matière de distance sociale, doit-être considérée comme appropriée ? L’auteur soussignée laisse la question ouverte.


La situation est certainement différente pour les employés qui ont dû faire du télétravail car la société qui les emploie (et donc leur lieu de travail) a été fermée par décision de l’employeur, voire même par décision des autorités.


Cela étant dit, de nombreuses situations peuvent se présenter et chaque situation doit faire l’objet d’un examen séparé. Afin d’éviter des litiges potentiels, il est bien évidemment conseillé aux employeurs, qui autorisent le télétravail, en temps normal et de manière régulière, de régler la question des frais dans les contrats de travail, dans le règlement du personnel ou dans une directive séparée.

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