Droit du travail

Les travailleurs âgés en Suisse et la protection contre le licenciement

Mature businesswoman working with documents while sitting at her workplace

Un arrêt du Tribunal fédéral du 15 mai 2023 (4A_117/2023) est l’occasion de revenir sur la question de la protection des travailleurs âgés contre un licenciement en droit du travail.


Cette question a fait l’objet de plusieurs décisions judiciaires qui pourraient laisser penser qu’il n’est plus possible de licencier un employé âgé et qu’il existe ainsi dorénavant une nouvelle catégorie d’employés à protéger contre un licenciement, soit la catégorie des employés âgés (comme c’est le cas par exemple des employées enceintes). Mais est-ce vraiment le cas ?


La réponse pour la soussignée est pour l’instant non ou en tout cas doit être nuancée et ce pour les raisons (non exhaustives) suivantes :


1. Le principe qui prévaut en matière de droit suisse des contrats est toujours le principe de la liberté contractuelle.


Cela signifie que les parties sont libres de conclure un contrat mais sont également libres (à certaines conditions bien entendu) de résilier le contrat. Ce principe s’applique à la relation de droit du travail privé qui est basé sur un contrat de travail et il ressort expressément de l’article 335 du Code des Obligations selon lequel « le contrat de travail de durée indéterminée peut être résilié par chacune des parties ».


2.Il n’existe pas de disposition dans le Code des obligations qui protège cette catégorie d’employés contre un congé comme c’est le cas notamment des employés malades ou accidentés ou comme c’est le cas également des femmes enceintes.


3.La notion d’employé âgé n’est pas définie de manière claire. Le Tribunal fédéral, dans sa jurisprudence, ne fixe pas d’âge limite pour être considéré comme un employé âgé. A la lumière des décisions rendues, il semble cependant qu’il faille avoir au minimum 55 ans. De plus, l’âge doit être examiné également en tenant compte des années d’ancienneté. Sur ce point également, le Tribunal fédéral ne fixe pas de nombre d’années limite mais il semble que l’ancienneté doit être considérée comme importante à partir de 10 à 11 ans de service pour le même employeur.


4.Pour l’instant, les cas dont lesquels le Tribunal fédéral a confirmé que le licenciement d’un employé âgé était abusif et a accordé des indemnités pour licenciement abusif importantes sont des cas assez extrêmes et exceptionnels. Il s’agit en effet de cas où l’employé était très proche de la retraite et avait une très grande ancienneté.


Dans l’arrêt du Tribunal fédéral du 15 mai 2023 (4A_117/2023), l’employé avait été licencié alors qu’il avait 64 ans et était à 11 mois de la retraite. Il avait de plus environ 30 années d’ancienneté. Dans un arrêt de 2005 (ATF 132 III 115), l’employé était également à quelques mois de la retraite lors du licenciement et avait plus de 44 années d’ancienneté.


5.Le Tribunal fédéral a cependant rappelé, notamment dans sa décision du 15 mai 2023, que chaque cas doit être examiné séparément. Pour le Tribunal fédéral, « lors de l’appréciation du caractère abusif des licenciements de travailleurs âges ayant une longue durée de service, il faut toujours tenir compte de toutes les circonstances du cas d’espèce » (traduction libre de l’ATF 4A_117/2023. c. 3.4.4).


6.S’il n’existe donc pas de protection « absolue » contre un licenciement pour les employés âgés, il ressort cependant de la jurisprudence un devoir d’assistance et de protection accru à la charge de l’employeur qui doit avoir des égards particuliers pour cette « catégorie » d’employés.


Cela signifie que l’employeur doit examiner, avant de procéder à un licenciement d’un employé rentrant dans cette catégorie, si d’autres solutions sont possibles.


Dans l’arrêt du 15 mai 2023, le Tribunal fédéral parle « d’alternative socialement plus acceptable » (traduction libre de l’ATF 4A_117/2023. c. 3.4.4).


Ces solutions ou alternatives peuvent être diverses. Chaque cas doit être examiné séparément et c’est la situation de l’employé mais également la situation de l’entreprise qui permettront d’établir quelles mesures sont possibles et peuvent être mise en place.


A titre d’exemple, les mesures peuvent être la réduction du taux d’activité, le transfert à un autre poste ou bien entendu la mise à la retraite anticipée.


L’employeur doit également le cas échéant informer l’employé au préalable de son intention de mettre un terme au contrat et lui donner l’occasion d’être entendu et de se déterminer et de proposer des solutions.


Mais bien entendu, pour envisager un licenciement et/ou la mise en place de ces mesures, l’employeur doit avoir un motif objectif (comme c’est d’ailleurs le cas pour tout licenciement et ce quel que soit l’employé). Il peut s’agir de motifs objectifs qui ont trait à l’employé lui-même, comme par exemple des performances insuffisantes ou un manque d’adaptation malgré un soutien qui aurait été mis en place. Mais il peut également s’agir de motifs objectifs qui ont trait à la société, soit des raisons économiques, comme les mauvaises performances de l’entreprise, le manque de travail ou les impératifs stratégiques de l’entreprise etc (https://droitdutravailensuisse.com/2022/03/06/le-licenciement-des-travailleurs-ages-etat-des-lieux/).


Pour conclure, s’il n’existe en l’état pas de protection « absolue » contre un licenciement pour les employés âgés, il existe un « devoir d’assistance accru de la part de l’employeur, qui ne s’oppose certes par à un licenciement, amis qui imposer un exercice du droit avec ménagement » (traduction libre de l’ATF 4A_117/2023. c. 3.4.4).


Le conseil à donner aux employeurs est donc le suivant : si le licenciement d’un employé âgé, soit un employé ayant plus de 55 ans et ayant plus de 10 années d’ancienneté, est envisagé, l’employeur doit s’assurer qu’il existe un réel motif objectif et doit examiner, avant de procéder au licenciement s’il existe d’autres alternatives possibles qui sont socialement acceptables. Plus l’employé est proche de la retraite, plus la protection sera accrue.


Quant aux employés qui rentrent dans la catégorie des employés âgés, le conseil est de réfléchir à des alternatives possibles et faire des propositions à l’employeur en cas de crainte d’un licenciement ou en cas d’annonce de l’intention de licencier.

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