Droit des contrats

Les grévistes de la Providence – Le droit de grève et le licenciement avec effet immédiat

« Les grévistes de la Providence à Strasbourg » et « D’ex-grévistes neuchâtelois de la Providence recourent à Strasbourg », voilà deux exemples de titres d’articles parus il y a deux semaines dans les journaux romands. Ce nouveau rebondissement dans l’affaire des « grévistes de la Providence » est l’occasion de rappeler les principes en matière de droit à la grève en Suisse et de licenciement avec effet immédiat en cas de grève illicite, principes qui ont été rappelés dans l’arrêt contesté par les grévistes du Tribunal fédéral du 17 décembre 2018 (ATF 4A_64/2018).


Pour comprendre le contexte et l’arrêt du Tribunal fédéral, il est important de connaître les circonstances de la grève et les circonstances du licenciement des employés qui ont continué celle-ci.


En juin 2012, la direction de la Fondation de l’hôpital de la Providence avait dénoncé la Convention collective de travail Santé 21 (CCT Santé 21) avec effet au 31 décembre 2012.


Suite à cette dénonciation, 129 salariés de l’Hôpital avaient décidé de mandater deux syndicats afin qu’ils mènent en leur nom des négociations avec la direction de l’Hôpital.


L’Hôpital avait accepté d’ouvrir des négociations.


L’Hôpital avait cependant été contraint de solliciter l’intervention de l’Office cantonal de conciliation suite à un article dans la presse paru dans lequel le syndicat indiquait que les employés entendaient faire grève le 18 septembre 2012.


Malgré l’intervention de l’Office cantonal, les 129 employés ont fait grève le 18 septembre 2012 pendant une demi-journée.


Le 6 novembre 2012, la direction de l’Hôpital avait rappelé à son personnel que la Convention collective était en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, avait enjoint son personnel à respecter la paix du travail et avait indiqué que les employés qui participeraient à un mouvement de grève pendant les heures de travail seraient considérés comme ayant abandonné leur poste de travail.


En parallèle, des séances d’information ont eu lieu au sujet de la reprise des activités opérationnelles de l’Hôpital par le groupe de cliniques privées et un vote avait été organisé au sein de l’Hôpital dans le courant du mois de novembre 2012. Sur les 335 collaborateurs de l’Hôpital, 280 ont participé au vote. 202 employés se sont prononcés en faveur de la reprise de l’Hôpital par le groupe privé, 63 contre et 15 se sont abstenus.


Les négociations avec les syndicats ont échoué malgré ce vote. Ces négociations étaient alors menées par le Conseil d’Etat.


La grève a ainsi démarré le 26 novembre 2012.


Le 17 décembre 2012, l’Hôpital a annoncé à ses employés que l’accord avec le groupe privé avait été signé suite au vote. Il a également informé son personnel que la Convention collective resterait en vigueur une année supplémentaire, soit jusqu’au 31 décembre 2013. L’Hôpital a cependant confirmé aux employés qu’ils étaient protégés après cette date contre toute perte pécuniaire liée au changement des conditions de travail.


A la fin du mois de décembre 2012, le Conseil d’Etat a également annoncé qu’il avait négocié des conditions favorables pour les employés avec le nouvel employeur, soit le groupe privé.


Le 3 janvier 2013, l’un des syndicats a informé la direction de l’Hôpital que la « majorité du personnel » demandait le maintien à long terme de la Convention Collective, la conservation de tous les postes de travail et l’absence d’externalisation de certains services, comme le nettoyage et blanchisserie. Le syndicat a précisé que les employés faisant grève depuis le 26 novembre 2012 étaient prêts à reprendre le travail si ces demandes étaient acceptées.


Le 23 janvier 2012, le Conseil d’Etat a écrit au syndicat afin de lui confirmer que le nouvel employeur garantissait l’emploi à tout le personnel de l’Hôpital et qu’en cas d’externalisation d’un service, il veillerait à ce que les employés concernés soient repris par le nouvel employeur. Il a également indiqué que le nouvel employeur était d’accord de renoncer à toute sanction vis-à-vis des grévistes. Il a confirmé que la Convention collective serait en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013 et qu’au-delà, le nouvel employeur s’était formellement engagé à revoir à la hausse les salaires afin de compenser la baisse de certaines indemnités prévues dans la convention collective. Le Conseil d’Etat a donc invité les grévistes à reprendre le travail.


Le même jour, la direction de l’Hôpital a informé ses employés qu’elle envisageait de ne prendre aucune sanction contre les employés faisant la grève et qu’elle allait maintenir leurs postes pour autant qu’ils reprennent le travail d’ici à la fin du mois de 31 janvier 2013.


A cette date, 26 employés étaient encore en grève.


Toujours le même jour, la direction de l’Hôpital a adressé une lettre de mise en demeure formelle à ces 26 employés. Les 26 employés étaient invités à communiquer, d’ici au 28 janvier 2013 à 12h00, s’ils entendaient reprendre le travail. La direction indiquait également qu’elle envisageait de résilier avec effet immédiat le contrat des employés ne reprenant pas le travail à la fin du mois de janvier 2013.


La direction a cependant indiqué qu’elle organiserait des entretiens individuels à la fin du mois de janvier 2013 afin d’entendre les employés concernés et refusant de reprendre le travail afin de prendre une décision.


Par l’intermédiaire d’un conseil commun, 25 employés ont indiqué qu’ils allaient continuer la grève.


Le 31 janvier 2013, l’Hôpital a entendu les 25 employés accompagnés de leur avocat. 2 employés ont alors indiqué qu’ils souhaitaient reprendre leur poste, ce que l’Hôpital a accepté.


Par courrier recommandé du 4 février 2013, l’Hôpital a licencié avec effet immédiat les 22 employés restants ayant refusé de reprendre leur poste.


Ce licenciement avec effet immédiat a été contesté par les 22 employés et l’arrêt du Tribunal fédéral du 17 décembre 2018 décrié par les grévistes met un terme à la procédure au niveau national.

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En Suisse, la grève est expressément prévue dans la Constitution fédérale à son article 28 (art. 28 Cst).


L’arrêt du Tribunal fédéral du 17 décembre 2018 (4A_64/2018) rappelle les quatre conditions cumulatives qui doivent être remplies pour qu’une grève soit considérée licite au sens de la Constitution.


Ces quatre conditions cumulatives sont les suivantes :
1. La grève doit se rapporter aux relations de travail :
2. La grève doit être conforme aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation ;
3. La grève doit respecter le principe de la proportionnalité ;
4. La grève doit être appuyée par une organisation de travailleurs.


La première condition est donc le fait que la grève doit se rapporter aux relations de travail.


Le Tribunal fédéral rappelle dans son arrêt que la grève « doit porter sur une question susceptible d’être réglée par une convention collective de travail ». Les « grèves politiques » (au sens large, dans le sens qu’elles n’ont plus de rapport avec la relation de travail) qui tendent à faire pression sur les autorités ou des grèves poursuivant des objectifs corporatistes, extérieurs à l’entreprise ou à la branche » sont donc exclues.


Dans le cas des grévistes de la Providence, si initialement la grève visait le maintien de la Convention collective de travail Santé21 et donc le maintien de certaines conditions de travail, des garanties importantes avaient ensuite été fournies aux employés dès le 23 janvier 2013. Ainsi, au-delà de cette date, les raisons du maintien de la grève étaient difficiles à comprendre et semblaient avoir pour but d’empêcher la reprise de l’Hôpital par le groupe privé. Or, selon le Tribunal fédéral, il s’agit d’une « revendication ne pouvant pas être réglée par une convention collective de travail ».


La première condition n’était donc pas remplie.


La seconde condition est le fait que la grève doit être conforme aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.


A ce titre, le Tribunal fédéral rappelle que « l’obligation de maintenir la paix du travail résulte de l’art. 357a al. 2 CO, qui prévoit que les parties à une convention collective de travail sont tenues en particulier de s’abstenir de tout moyen de combat quant aux matières réglées dans la convention. L’obligation de maintenir la paix du travail est liée à l’existence d’une convention collective. Elle prend donc fin de manière automatique à l’échéance de celle-ci ou lorsqu’une partie résilie la convention collective sans proposer de nouvelles négociations sérieuses. Cela ne signifie pas pour autant que la grève est alors immédiatement possible puisque, en vertu du principe de l’ultima ratio, la grève suppose que tous les moyens de négociation et de conciliation aient été tentés et aient échoué ».


Dans le cas des grévistes de la Providence, par lettre du 17 décembre 2012, l’Hôpital avait informé son personnel que la Convention collective resterait en vigueur une année supplémentaire, soit jusqu’au 31 décembre 2013.


A partir de cette date, la grève avait perdu son caractère d’ultima ratio, puisqu’à ce moment-là, l’application des conditions de la Convention collective était garantie pour plus de 12 mois supplémentaires.


La seconde condition n’était donc pas remplie.


La troisième condition est que la grève doit respecter le principe de la proportionnalité.


Le Tribunal fédéral rappelle ainsi que les parties doivent régler les conflits « autant que possible par la négociation ou la médiation ». De plus, « la grève ne doit pas être plus incisive qu’il n’est nécessaire pour atteindre le but visé ; les mesures collectives de combat ne sont licites qu’au titre d’ultima ratio ».


Dans le cas de la Providence, comme déjà mentionné, par lettre du 17 décembre 2012, l’Hôpital avait informé son personnel que la convention collective resterait en vigueur une année supplémentaire. A partir de cette date, la grève avait perdu son caractère d’ultima ratio.


Ainsi, à partir de cette date, les employés disposaient d’autres moyens moins incisifs pour faire valoir leurs revendications que la poursuite de la grève.


Ainsi, la troisième condition n’était pas non plus remplie.


La quatrième condition est que la grève doit être appuyée par une organisation de travailleurs.
Le Tribunal fédéral rappelle ainsi que « la grève doit être appuyée par une organisation de travailleurs ayant la capacité de conclure une convention collective de travail ». « Il s’agit d’un acte d’association ».


Le seul fait qu’un syndicat décide de mener de façon autonome une grève n’est pas suffisant. Il faut encore vérifier si « la mesure prise est bien un moyen relevant du combat syndical et si elle est proportionnée ».


Dans le cas de la Providence, si initialement 129 employés avaient fait grève le 18 septembre 2012 pendant une demi-journée, seuls 26 employés étaient en grève le 26 novembre 2012. Seuls 22 employés ont décidé de poursuivre la grève au-delà du délai fixé à la fin du mois de janvier 2013.


Dans ces conditions, il est vraisemblable qu’il n’y a pas eu acte d’association et que la décision de faire grève ne respectait pas les dispositions du Code civil en matière d’association.


La quatrième condition n’était donc pas non plus remplie.


Dans la mesure où les quatre conditions n’étaient pas remplies, le Tribunal fédéral a ainsi considéré que la grève, en tout cas à partir du 17 décembre 2012, était illicite au sens de l’article 28 Cst.


S’agissant du licenciement avec effet immédiat des 22 employés, le Tribunal fédéral rappelle que « lorsque la grève est illicite, cela ne signifie pas encore automatiquement que les travailleurs qui y ont participé puissent être licenciés avec effet immédiat ».


Dans le cas de la Providence, les 22 grévistes, qui étaient à ce moment-là représenté par un avocat, avaient reçu un avertissement clair, avaient pu participer à des entretiens individuels assistés de leur avocat et avaient eu, à plusieurs reprises, la possibilité d’être réintégrés.


Le Tribunal fédéral a donc considéré que les conditions du licenciement avec effet immédiat pour justes motifs (art. 337 CO) étaient remplies en l’espèce et qu’il ne pouvait pas être raisonnablement exigé de l’Hôpital, qui avait notamment agi de bonne foi dans les négociations, qu’il résilie les contrats de travail en respectant les délais de congé, soit de manière ordinaire.

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Selon l’avocat des ex-grévistes de la Providence, « interprété comme le fait le Tribunal fédéral, le droit de droit de grève devient une coquille vide ».


L’auteur soussignée ne partage pas cet avis. Le Tribunal fédéral rappelle plutôt, de manière très claire, les quatre conditions cumulatives qui doivent être remplies pour qu’une grève soit considérée licite au sens de la Constitution. Dans le cas de la Providence, le Tribunal fédéral fait également, à juste titre, une distinction entre la grève d’une demi-journée du 18 septembre 2012 des 129 employés qui est très certainement licite et la grève poursuivie par 26 employés au-delà du 17 décembre 2012 alors que la Convention collective restait en vigueur une année supplémentaire, soit jusqu’au 31 décembre 2013.


Ainsi, une grève licite initialement peut devenir illicite par la suite si l’une des quatre conditions n’est plus remplie.


C’est également à juste titre, selon l’auteur soussignée, que le Tribunal fédéral rappelle que, si la grève est illicite, cela ne signifie pas automatiquement que l’employeur des grévistes est en droit de résilier le contrat avec effet immédiat.


Il convient maintenant d’attendre pour savoir si la Cour européenne des droits de l’homme sera du même avis que le Tribunal fédéral ou si les autorités judiciaires suisses devront revoir la conception suisse du droit de grève.

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