A la suite de l’acceptation par le peuple et les cantons de l’initiative populaire « contre les rémunérations abusives », dite initiative Minder, le 3 mars 2013, introduisant un nouvel article 95 al. 3 dans la Constitution fédérale, le Conseil fédéral avait pour obligation, selon l’article 197 ch. 10 de cette même Constitution, d’édicter dans un délai d’une année les dispositions d’exécution nécessaires.
C’est ainsi que notre organe exécutif a promulgué le 22 novembre 2013 l’Ordonnance contre les rémunérations abusives (ORAb). Celle-ci est entrée en vigueur le 1er janvier 2014.
Notre propos n’est pas ici de commenter de manière exhaustive cette Ordonnance fédérale mais bien de vérifier si ses dispositions ne font que concrétiser dans une ordonnance d’exécution les principes et règles juridiques contenus dans le texte de l’initiative ou si le Conseil fédéral est allé au-delà de sa mission d’exécution. Or, force est de constater, contrairement aux propos et commentaires des initiants, que notre exécutif est allé au-delà des termes même de l’initiative, sur des points de droit non négligeables, et cela aux dépens de la sécurité du droit, des principes démocratiques et de l’équilibre toujours plus fragile du droit suisse des affaires.
Rappelons en premier lieu que l’initiative prévoyait trois axes principaux de réformes à l’attention des sociétés anonymes suisses cotées en bourse en Suisse ou à l’étranger: (i) établir le rôle prépondérant de l’assemblée générale des actionnaires pour voter la somme globale des rémunérations des administrateurs, de la direction et du comité consultatif ; (ii) interdire le versement de certaines indemnités, soit des indemnités de départ, l’interdiction de « rémunérations anticipées », de primes pour des achats ou des ventes d’entreprises, ainsi que l’interdiction de la délégation de la gestion de la société à une personne morale ; (iii) régler dans les statuts de la société le montant des rentes, des crédits, des prêts, des plans de bonus ou de participation, ainsi que le nombre de mandats externes des organes de la société et la durée des contrats de travail des membres de la direction.
Les dispositions de l’ORAb ne se contentent toutefois pas de mettre en exécution ces principes. Elles les développent et parfois même en inventent de nouveaux, en particulier sur les quatre points suivants :
(1) A son article 13, l’ORAb institue l’obligation pour le conseil d’administration d’édicter un « rapport de rémunération », lequel n’est pas soumis au vote de l’assemblée générale, au lieu de renvoyer aux indications qui doivent déjà figurer dans l’annexe au bilan selon l’actuel article 663bbis CO, désormais abrogé, annexe qui était soumise au vote des actionnaires. Or, force est de constater que les termes de l’article 663bbis CO étaient parfaitement compatibles avec ceux de l’initiative Minder et auraient pu demeurer tels quels, offrant aux actionnaires une plus grande capacité de décision.
(2) L’article 12 ch. 2 ORAb fixe à un an la durée maximale du délai de congé et des contrats qui prévoient les rémunérations des membres du conseil d’administration et de la direction, cela alors que le texte de l’initiative ne stipulait que l’obligation de fixer cette durée dans les statuts sans en imposer une limite temporelle. Les explications alambiquées du Conseil fédéral figurant à cet égard dans le rapport additionnel, si tant qu’elles soient compréhensibles, ne sont pas convaincantes.
(3) L’article 20 ORAb prévoit que les rémunérations versées en relation avec ces plans sont interdites à moins de figurer dans les statuts, ce qui va au-delà du texte de l’initiative et fragilise sans droit un mode important de rémunération. Or, l’article 95 al. 3 Cst. féd. ne fait que prévoir que les statuts « règlent » les plans de bonus et de participation. De par le texte même de l’initiative, ces plans ne sont ainsi pas considérés comme des indemnités prohibées contrairement aux indemnités de départ ou aux indemnités anticipées.
(4) L’article 21 ORAb étend le champ d’application des indemnités interdites à toutes les sociétés de groupe, soit à des sociétés contrôlées directement ou indirectement par la société à qui s’appliquent les dispositions de l’ORAb. Il s’agit là d’une mesure qui pénalisera fortement les sociétés cotées de Suisse et qui est de nature à influer négativement sur la compétitivité de la place financière suisse.
Par ailleurs, certains points de l’article constitutionnel ne sont pas traités par l’Ordonnance alors qu’ils auraient mérités de l’être. Il faut à ce titre principalement relever que les modalités du vote à distance par voie électronique ne sont pas prévues par l’ORAb, si ce n’est pour octroyer au représentant indépendant des pouvoirs et des instructions.
Certes, les jours de l’ORAb sont comptés puisque les Chambres fédérales doivent maintenant intégrer ces principes dans une loi fédérale proprement dite, soit au travers du processus législatif ordinaire. Il est toutefois à craindre que cette intégration n’intervienne que dans le cadre du projet plus large de révision du droit de la société anonyme, révision qui avait justement été interrompue par l’aboutissement de l’initiative Minder. C’est dire si la présente ORAb risque de durer et de peser par son antériorité sur les mentalités des juristes concernés.
Il faut donc exhorter nos parlementaires à faire à la fois preuve de célérité mais aussi de la retenue nécessaire pour remplacer cette ordonnance par un véritable texte de loi s’inscrivant dans le strict cadre juridique posé par l’article 95 al. 3 de la Constitution fédérale, et de ne pas en profiter pour imposer aux sociétés anonymes cotées en Suisse un régime juridique trop contraignant et sans équivalent avec la législation applicable aux sociétés cotées sur d’autres places financières.
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