Depuis quelques années, on voit apparaître, de plus en plus souvent, des certificats médicaux attestant d’une incapacité de travail totale mais limitée à la place de travail ou à l’activité, voire même à l’employeur, ou des décisions des assurances perte de gain confirmant qu’une reprise du travail de l’employé à 100% est possible mais dans un autre travail ou auprès d’un autre employeur. C’est ce que l’on appelle le « certificat à géométrie variable ».
Si une reprise du travail de l’employé dans une autre activité peut se comprendre (on pense notamment aux activités nécessitant le port de charge lourde qui ne serait plus possible pour un employé souffrant de problème de dos), le fait que l’employé soit déclaré apte au travail dans la même activité mais auprès d’un autre employeur peut s’avérer un vrai casse-tête et pose de nombreuses questions importantes.
L’une de ces questions est la suivante : est-ce que le licenciement d’un employé dans une telle situation est considéré comme un licenciement inopportun au sens de l’article 336c CO ? En d’autres termes, est-ce que l’employé est protégé contre un licenciement qui interviendrait pendant la période d’incapacité à « géométrie variable » ?
Une autre question (qui découle de la première) est la suivante : est-ce qu’un employé au bénéfice d’un tel certificat peut prendre des vacances ou compenser des heures supplémentaires ? En d’autres termes, est-ce que l’employeur peut considérer que l’employé doit prendre tout ou partie des vacances pendant cette période et/ou peut compenser par un congé tout ou partie des heures supplémentaires ?
Autre question et non des moindres : qu’en est-il de l’obligation de l’employeur de verser le salaire à l’employé ? Est-ce que l’employeur doit continuer à verser le salaire d’un employé qui a été déclaré inapte à travailler auprès de lui mais qui peut travailler avec une pleine capacité auprès de tout autre employeur et ce même dans la même activité ?
S’agissant de la première question, si certains tribunaux cantonaux semblaient retenir que les employés au bénéfice d’un certificat médical variable étaient protégés contre un licenciement en temps inopportun, le Tribunal fédéral a relativisé cette protection dans un arrêt du 8 novembre 2016 (arrêt qui est critiqué par certains auteurs : ATF 4A_391/2016 DU 08 NOVEMBRE 2016, voir notamment l’analyse de l’arrêt par Werner Gloor, https://droitdutravail.ch/campagne/1769).
En résumé, dans cette affaire tessinoise, l’expert médecin de l’assurance considérait que l’incapacité de travail de l’employé était limitée à l’actuel emploi. Ainsi, selon lui, à partir du 1er juillet 2012, l’employé pouvait reprendre une activité identique auprès d’un autre employeur. L’employé l’avait admis lui-même devant l’expert médecin de l’assurance. Le médecin traitant de l’employé était cependant d’un avis différent et considérait que l’incapacité de l’employé était totale et générale.
Le Tribunal fédéral a confirmé que l’employé avait admis devant l’expert de l’assurance, qu’à partir du 1er juillet 2012, il était apte à travailler, dans une activité identique, auprès d’un autre employeur. L’incapacité de travail était donc bien limitée à la place de travail. Pour le Tribunal fédéral, la protection de l’article 336c CO ne se justifiait pas dans cette situation (L’auteure soussignée y reviendra probablement dans un futur article).
S’agissant de la seconde question, elle dépend manifestement de la réponse qui est donnée à la première question. Si l’on considère que l’employé qui a une incapacité de travail « à géométrie variable » est apte à travailler, dans une activité identique, auprès d’un autre employeur, il est certainement également apte à prendre des vacances et à compenser des éventuelles heures supplémentaires (bien évidemment dans les proportions admises par la jurisprudence si l’employé est dans son délai de congé). Il est en effet rappelé ici que les vacances doivent servir principalement au repos et que ce but peut ne pas être atteint lorsque l’employé est en incapacité de travail.
S’agissant de la question de la rémunération de l’employé qui a une incapacité de travail « à géométrie variable », elle n’est pas réglée de manière claire par la loi et ne fait pas l’unanimité auprès des auteurs alors qu’il s’agit d’une question essentielle pour l’employeur mais également pour l’employé. Elle n’a en outre et sauf erreur pas été réglée de manière définitive par le Tribunal fédéral. (Il est précisé que la question est examinée d’un point de vue de l’obligation de l’employeur de verser un salaire et que les aspects en lien avec les assurances sociales à proprement parler et avec l’assurance invalidité, qui peut entrer en ligne de compte, sont laissés de côté ici).
Le droit au salaire en cas d’empêchement de travailler est réglé par l’article 324a CO.
Selon l’article 324a alinéa 1 et alinéa 2 CO, « lorsque le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, telles que maladie, accident, accomplissement d’une obligation légale ou d’une fonction publique, l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois.
Sous réserve de délais plus longs fixés par accord, contrat-type de travail ou convention collective, l’employeur paie pendant la première année de service le salaire de trois semaines et, ensuite, le salaire pour une période plus longue fixée équitablement, compte tenu de la durée des rapports de travail et des circonstances particulière ».
Pour déterminer pendant quelle période l’employé a droit à son salaire, les tribunaux appliquent les barèmes de référence que sont l’échelle bernoise, l’échelle zurichoise ou l’échelle bâloise. Dans les cantons romands, c’est l’échelle bernoise qui est appliquée.
Le régime prévu à l’article 324a alinéa 2 CO est le régime de base qui s’applique lorsque l’employeur n’a pas contracté d’assurance perte de gain. Ce régime de base s’applique donc de moins en moins souvent en pratique car la plupart des employeurs ont dorénavant contracté des assurances perte de gain.
En effet, selon l’article 324a alinéa 3 CO, « un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut déroger aux présentes dispositions à condition d’accorder au travailleur des prestations au moins équivalentes ».
En d’autres termes, « plutôt que d’assumer lui-même le paiement du salaire pour un temps limité […], l’employeur peut conclure à cet effet une assurance indemnités journalières. [..] Toutefois, pour que l’employeur soit libéré de ses obligations, il faut qu’un certain nombre de condition soient remplies » (Philippe Carruzzo, Le contrat individuel de travail, Commentaire des articles 319 à 341 du Code des Obligations, Zurich – Bâle- Genève, 2009, ad. art. 324a CO, § 15). L’une de ces conditions est que l’assurance offre des prestations au moins équivalentes.
Cette condition est en principe remplie si l’employeur contracte une assurance perte de gain prévoyant le versement d’une indemnité journalière à hauteur de 80% du salaire pendant une durée de 720 jours. C’est ce type d’assurance qui est le plus fréquemment conclu avec un délai d’attente de 30 jours, délai d’attente pendant lequel l’employé a en principe droit à 100% de son salaire.
Lorsque l’employeur a contracté une assurance perte de gain qui offre des prestations au moins équivalentes et pour autant qu’il ait rempli ses obligations vis-à-vis de l’assureur, soit le paiement des primes et l’annonce du sinistre en temps utile, les conséquences pour l’employeur sont les suivantes :
Ainsi, en d’autres termes, le fait pour l’employeur de souscrire une assurance perte de gain qui offre des prestations au moins équivalentes a un effet libératoire pour ce même employeur vis-à-vis de l’employé s’agissant du versement du salaire.
Si l’on applique cet effet libératoire à l’incapacité à « géométrie variable », l’auteure soussignée est de l’avis suivant :
Pour conclure, il est évident que le fait pour un médecin d’établir un certificat médical attestant d’une incapacité de travail totale mais limitée à la place de travail ou à l’activité, voire même à l’employeur, et le fait pour une assurance perte de gain de confirmer qu’une reprise du travail de l’employé à 100% est possible mais dans un autre travail ou auprès d’un autre employeur ne sont pas du tout anodins et posent de nombreuses questions.
Lorsque l’employeur, mais également l’employé, se trouvent face à une telle incapacité de travail à « géométrie variable », la question du droit au salaire se pose et le risque existe, pour l’employé, que l’employeur soit libéré de l’obligation de verser le salaire.
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