Droit du bail

Coronavirus et droit du bail : la suite

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Une nouvelle décision d’un tribunal zurichois donne « partiellement » raison a un restaurateur suite à une demande de réduction de loyer en raison de la situation covid et des fermetures ordonnées pour les établissements publics.


Il y a une année exactement, la soussignée présentait une décision rendue le 23 avril 2021, également par un tribunal zurichois, dans une procédure sommaire de mainlevée de l’opposition faisant suite à une poursuite du bailleur contre le locataire pour la part des loyers non payés. Le tribunal zurichois n’intervenait donc pas comme juge du fond en matière de droit du bail mais uniquement comme juge de la mainlevée de l’opposition.


Le locataire en question, qui était un restaurateur, avait retenu une partie des loyers, considérant comme injustifié de devoir payer la totalité du loyer suite aux fermetures ordonnées. En d’autres termes, il n’avait pas payé l’intégralité du loyer. Le bailleur l’avait mis en poursuite pour le solde des loyers impayés. Le locataire avait fait opposition au commandement de payer et le bailleur demandait la levée de cette opposition.


Dans cette décision du 23 avril 2021, les juges avaient considéré que le restaurateur avait des objections valables et avaient également considéré que « le contrat de location […] conclu entre les parties ne constitue pas un titre de mainlevée » pour la créance du bailleur » (traduction libre de l’arrêt).


Ils avaient donc refusé d’accorder au bailleur la mainlevée de l’opposition mais rien de plus.


En d’autres termes, le principe d’une réduction de loyer en raison de la situation Covid et des fermetures des établissements publiques ordonnées n’était pas acquise.


Le 28 janvier 2022, une nouvelle décision a été rendue par les autorités zurichoises mais cette fois-ci par un juge du fond en matière du bail (MG.2021.20 du 28 janvier 2022, arrêt publié et commenté dans Newsletter mai 2022 Bail.ch, https://bail.ch/bail/page/newsletter/2148).


Dans cette affaire, le locataire était l’exploitant d’un restaurant de restauration rapide dans lequel « la nourriture et les boissons sont servies aussi bien pour être consommées sur place que pour être emportées (take-away) » (traduction libre de la décision).


Le restaurateur a ouvert action et a requis une réduction de loyer de 100% pour les périodes du 16 mars 2020 au 31 mars 2020 et du 1er mai 2020 et 10 mai 2020.


Le tribunal zurichois lui a donné partiellement raison.


Dans sa décision, le tribunal rappelle les principes en matière de défaut de la chose louée. Il rappelle notamment que « les défauts sur lesquels le bailleur n’a aucune influence ou qui résultent de l’environnement ou du comportement de tiers peuvent également constituer un défaut de la chose louée et entraîner une diminution du loyer » (traduction libre de la décision). Il rappelle également que « si les locaux loués ne peuvent pas être utilisés en raison d’une prescription de droit public à l’adresse du bailleur, il y a un défaut (ZK-Higi/Bühlmann, Art. 256 CO, N 40). Il n’y a pas de défaut au sens de l’art. 259d CO lorsque cette prescription de droit public concerne le locataire (p. ex. patente de restaurateur pour pouvoir exploiter un restaurant) (Sarah Brutschin, Xavier Rubli, Pierre Stastny, avis de droit sur mandat de l’Association suisse des locataires, Paiement du loyer des locaux commerciaux pendant l’épidémie de Covid-19) » (traduction libre de la décision).


Pour rappel, en vertu de l’article 259d du Code des obligations, « si le défaut entrave ou restreint l’usage pour lequel la chose a été louée, le locataire peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut et jusqu’à l’élimination de ce dernier »


Dans sa décision, le tribunal zurichois explique qu’une partie des auteurs suisses considèrent que l’article 259d CO « ne s’applique pas après que la Confédération a ordonné la fermeture provisoire de certains établissements car la fermeture des commerces ordonnée par les autorités n’est pas due au local loué et à son état, mais à l’activité commerciale exercée par le locataire, qui n’est actuellement pas autorisée (Peter Higi, Gutachtenliche Stellungnahme zur Frage der Her-absetzung des Mietzinses wegen Mängel des Geschäftsraumes im Zusammenhang mit der « Corona-Pandemie », Zurich, 26 mars 2020)


Le bailleur ne peut pas être lié par des garanties qui se rapportent à des éléments hors de sa sphère d’influence. On ne peut donc pas attendre du bailleur qu’il garantisse que les heures d’ouverture officielles des magasins ne seront jamais modifiées ou que les autorités publiques n’ordonneront jamais la fermeture des magasins » (traduction libre de la décision).


Pour une autre partie des auteurs suisses – et le tribunal zurichois se rallie à leur opinion dans sa décision – l’article 259d s’applique car « l’ordonnance 2 du COVID-19 s’adresse autant aux bailleurs qu’aux locataires et qu’elle présente un lien avec l’objet loué, puisqu’elle ordonne précisément sa fermeture provisoire (Sarah Brutschin/Xavier Rubli/Pierre Stastny, Avis de droit, Paiement des loyers des locaux commerciaux pendant l’épidémie de Covid-19, Genève, Lausanne, Bâle, 23 mars 2020, p. 3 ; David Lachat/Sarah Brutschin, Les loyers en période de coronavirus, mp 2020, p. 111). […] les dispositions de l’ordonnance COVID-19 2 doivent être respectées non seulement par le locataire, mais aussi par le propriétaire s’il est lui-même propriétaire d’un commerce ou s’il souhaite louer un bien vacant pendant la durée d’application de l’ordonnance (David Lachat/Sarah Brutschin, Die Mieten in Zeiten des Coronavirus, mp 2020, p. 110 s.) » (traduction libre de la décision).


S’agissant du cas que le tribunal zurichois a eu à trancher, celui-ci retient que « l’utilisation de l’objet loué a été expressément convenue en tant que restaurant de restauration rapide […]. Du fait de la fermeture des établissements de restauration ordonnée par le Conseil fédéral, la demanderesse a certes pu continuer à exploiter les locaux en tant que take-away […]. Cependant, la surface normalement disponible pour la consommation n’a pas pu être utilisée. Un établissement de restauration avec consommation sur place n’était pas possible. L’état réel différait donc de l’état convenu par contrat pendant la durée de la fermeture ordonnée par les autorités » (traduction libre de la décision).


Pour le tribunal zurichois, « le règlement COVID-19 2 ne s’adresse ni exclusivement aux locataires ni aux bailleurs, mais à la collectivité, et peut donc en principe concerner aussi bien les locataires que les bailleurs » (traduction libre de la décision). Toujours pour le tribunal zurichois, le locataire est concerné par l’Ordonnance Covid car il ne peut plus exploiter son restaurant et le bailleur est concerné car il ne peut plus honorer son engagement de mettre à disposition un objet de location selon l’accord qui a été convenu.


Pour le tribunal zurichois, il s’agit donc d’un défaut de la chose louée au même titre par exemple que « des immissions qui ont leur origine en dehors de la sphère d’influence du bailleur et qui ne sont pas nécessairement liées à l’objet » (traduction libre de la décision).


Le tribunal zurichois a cependant partiellement admis la demande du restaurateur en considérant que celui-ci avait pu continuer à exploiter son établissement en tant que « simple établissement de vente à l’emporter ». Le tribunal zurichois a donc refusé la réduction de 100% demandée par le restaurateur et a considéré qu’en « cas de fermeture temporaire de la surface de consommation pendant environ deux mois au printemps, en supposant que le commerce de restauration soit compensé de manière déterminante par le commerce de vente à l’emporter, une réduction de 30% du loyer selon l’art. 259d CO semble appropriée » (traduction libre de la décision).


Pour conclure, le tribunal zurichois se rallie donc à l’opinion d’une partie des auteurs suisses qui considèrent que la fermeture ordonnée des établissements publics est un défaut au sens de l’article 259d du Code des obligations et peut donner lieu à une réduction de loyer, dont la quotité doit être déterminée au cas par cas et cela même si le « défaut » a son origine en dehors de la sphère d’influence du bailleur et n’est pas nécessairement lié à l’objet lui-même.


Il convient cependant de garder à l’esprit que la décision zurichoise n’est qu’une décision de première instance. Il est vraisemblable qu’elle fera l’objet d’un recours au tribunal cantonal du canton de Zurich puis peut-être ensuite au Tribunal fédéral.


Suite donc au prochain épisode ou dans un prochain article de la soussignée …

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