Un arrêt du 29 novembre 2024 du Tribunal fédéral rappelle qu’en droit du bail le principe de la fidélité contractuelle prévaut malgré tout dans certaines situations.
Un cas hors du commun en droit du bail, que le Tribunal fédéral a eu à trancher (ATF 4A_555/2023), est l’occasion de rappeler que, dans ce domaine, la liberté contractuelle et la fidélité contractuelle doivent quand même prévaloir dans certains cas et ce même si le résultat est défavorable au locataire.
Le droit du bail, on le sait, a la particularité de contenir des dispositions protectrices à l’égard des locataires, et ce même s’il y a eu un accord contraire entre les parties, soit une convention écrite et signée. C’est notamment le cas – pour citer l’exemple le plus parlant et fréquent – de la contestation par le locataire du loyer initial. En effet même si le locataire a accepté le loyer et a signé un contrat de bail mentionnant ce loyer, il peut malgré tout le contester. Cette possibilité va à l’encontre du principe de droit suisse des contrats du « pacta sunt servanda », soit le principe selon lequel les conventions doivent être respectées (avec quelques exceptions comme notamment le contrat contraire aux mœurs ou portant sur un acte illicite etc.).
L’arrêt du Tribunal fédéral du 29 novembre 2024 rappelle que, dans certaines situations, en droit du bail, l’accord entre les parties fait toujours foi.
Cette affaire hors du commun par les montants en jeu pour un appartement était la suivante :
I avait conclu, à titre amical et fiduciaire, un bail portant sur un appartement de 8 pièces à Genève. Le bail était conclu par I pour le compte de A, qui ne voulait pas apparaitre sur le bail mais devait occuper l’appartement. L’arrêt ne dit pas pourquoi A ne voulait pas apparaître. Le loyer mensuel était de CHF 16’000.-.
Le contrat comportait des dispositions particulières. Selon ces clauses, « l’appartement était loué en l’état (art. 5 des clauses particulières du contrat). Le locataire était autorisé à effectuer des travaux dans l’appartement, selon une liste annexée au contrat, et pouvait, en cas de départ, négocier avec le nouveau locataire une éventuelle reprise de ces travaux (art. 7 des clauses particulières du contrat). Toutefois, selon l’art. 8 des clauses complémentaires faisant partie intégrante du bail, tous travaux ou apports d’éléments fixes financés par le locataire faisaient partie intégrante de l’appartement et du bâtiment et le locataire sortant ne pouvait exiger une reprise financière ou indemnité pour la plus-value apportée, ni du nouveau locataire lui succédant, ni du bailleur. Enfin, selon l’art. 37 des conditions générales et règles et usages locatifs auxquels le contrat renvoie, en dérogation à l’art. 260a al. 3 CO, le locataire ne pouvait prétendre à aucune indemnité en fin de bail pour les travaux à plus-value réalisés à ses frais et avec le consentement préalable écrit du bailleur dans les locaux loués ».
A a indiqué vouloir faire des travaux avant de prendre possession de l’appartement et a donné une liste de travaux au bailleur en indiquant qu’ils seraient faits à ses frais et sous sa responsabilité.
En 2008, A a est devenu titulaire du bail à la place de I.
A a effectué des travaux dans l’appartement dont le montant total s’est élevé à CHF 994’430.81.
En octobre 2015, le bailleur a résilié le bail. A a contesté cette résiliation et a soulevé le fait que celle-ci l’empêchait de négocier avec un futur locataire la reprise des travaux. A a demandé CHF 600’000.- d’indemnité pour les travaux effectués.
Par gain de paix le bailleur a proposé un montant de CHF 150’000.-.
A ayant refusé ce montant, l’affaire a été portée devant la commission de conciliation puis devant le Tribunal des baux puis le Tribunal cantonal puis enfin le Tribunal fédéral.
A la question de l’indemnité est venue s’ajouter une question de défaut de la chose louée et réduction de loyer en raison de dégât d’eau, mais cela ne sera pas développé ici.
Le Tribunal fédéral rappelle le contenu de l’article 260a CO.
Selon cet article, « le locataire n’a le droit de rénover ou de modifier la chose qu’avec le consentement écrit du bailleur. Lorsque le bailleur a donné son consentement, il ne peut exiger la remise en état de la chose que s’il en a été convenu par écrit. Si, à la fin du bail, la chose présente une plus-value considérable résultant de la rénovation ou de la modification acceptées par le bailleur, le locataire peut exiger une indemnité pour cette plus-value ; sont réservées les conventions écrites prévoyant des indemnités plus élevées ».
Le Tribunal fédéral rappelle que cette norme est dispositive, ce qui signifie que les parties peuvent y déroger.
Le Tribunal fédéral retient que la cour cantonale a « constaté que les parties avaient eu la réelle et commune intention d’exclure une indemnisation pour les travaux à plus-value entrepris par la locataire, ce qu’elles ont mentionné dans les différents documents contractuels. La cour cantonale s’est fondée d’abord sur la lettre du contrat, dont il ressortait, à l’art. 8 des clauses complémentaires du bail, que le locataire sortant ne pouvait exiger une reprise financière ou indemnité pour la plus-value apportée, ni du nouveau locataire lui succédant, ni du bailleur. L’art. 37 des conditions générales prévoyait également que toute indemnité pour travaux à plus-value était exclue en dérogation à l’art. 260a al. 3 CO. Au stade de l’établissement des faits et de l’appréciation des preuves, la cour cantonale a relevé qu’aucun élément ne permettait de retenir que la locataire n’aurait pas compris les clauses contractuelles susmentionnées ou qu’elle s’y serait opposée. En effet, I avait paraphé toutes les pages du contrat. En outre, la cour cantonale a considéré que le fait que la bailleresse avait proposé une indemnisation de 150’000 fr. par gain de paix à la fin du bail n’y changeait rien : cet élément ne démontrait pas que la bailleresse aurait eu la volonté de s’engager à indemniser les travaux à plus-value au moment de la signature du contrat ».
Pour le Tribunal fédéral, la cour cantonale a exposé « clairement les motifs qui l’ont guidée vers la conclusion que les parties ont eu la réelle et commune intention de déroger à l’art. 260a al. 3 CO et ainsi d’exclure toute indemnisation de la locataire pour ses travaux ».
Le Tribunal fédéral a donc rejeté le recours du locataire A et a confirmé qu’aucune indemnité pour les travaux effectués par le locataire, pour un montant total de CHF 994’430.81, n’était dû au bailleur, même si ce dernier avait proposé CHF 150’000.- par gain de paix.
Le principe de la fidélité contractuelle, soit le principe « pacta sunt servanda », a donc primé dans cette affaire !
Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?
Partager :
Newsletter
Restons connectés
Compétences
© 2024 Wilhelm Avocats SA – Politique en matière de confidentialité – Réalisation Mediago