Dans le cadre des mesures de soutien à l’économie en période de Covid-19, on a beaucoup parlé de trois mesures particulières: l’indemnisation de la réduction de l’horaire de travail (RHT) par les prestations de l’assurance-chômage; l’extension de l’octroi d’allocations pour perte de gain (APG) à certains travailleurs, notamment les indépendants; les cautionnements solidaires en faveur des entreprises substantiellement affectées par le Covid-19. Ces mesures ont fait l’objet de multiples ordonnances du Conseil fédéral, régulièrement révisées et mises à jour (au point que l’on pourrait parler de pandémie réglementaire). Le Conseil fédéral planche sur le projet d’une loi fédérale urgente rassemblant ces morceaux de législation épars, à soumettre prochainement à l’Assemblée fédérale.
Depuis le 19 mars 2020, le Conseil fédéral légifère en s’appuyant sur deux types de normes: l’art. 185 al. 3 Cst. féd., qui lui donne le droit d’édicter des ordonnances, dont la validité est limitée dans le temps, en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l’ordre public, la sécurité extérieure ou intérieure de la Confédération. Il est admis qu’une épidémie (ou pandémie) est un cas d’application de l’application 185 al. 3 Cst. (Urs Saxer, St Galler Kommentar, 2ème éd., 2014, n°75 ad art. 185 Cst.).
La Confédération est compétente pour protéger la santé publique, notamment pour lutter contre les maladies transmissibles de l’homme (art. 118 Cst. féd.). Sur cette base, l’Assemblée fédérale a adopté, le 28 septembre 2012, la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies, LEp; RS 818.101). La LEp donne au Conseil fédéral la compétence d’ordonner les mesures nécessaires pour tout ou partie du pays, si une situation extraordinaire l’exige (art. 7 LEp). Ces mesures touchent la détection et la surveillance, la prévention, la lutte contre les maladies transmissibles, le transport international de personnes et les indemnisations.
Aux termes de l’art. 63 LEp, l’autorité ordonnant une mesure visée aux art. 33 à 38 ou 41 al. 3 LEp peut indemniser, en tenant compte de la situation économique des bénéficiaires, les personnes qui subissent un dommage dû à cette mesure, pour autant que cela ne soit pas couvert autrement.
Les mesures énumérées à l’art. 63 LEp comme pouvant donner lieu à indemnisation sont les suivantes: l’identification des personnes malades et infectées (art. 33 LEp); l’obligation de se soumettre à une surveillance médicale (art. 34 LEp), la quarantaine et l’isolement (art. 35 LEp), l’obligation de se soumettre à un examen médical (art. 36 LEp) ou à un traitement médical (art. 37 LEp); l’interdiction totale ou partielle d’exercer sa profession ou certaines activités (art. 38 LEp); les restrictions à l’entrée en Suisse (art. 41 al. 3 LEp).
En se fondant sur l’art. 7 LEp, le Conseil fédéral a édicté l’ordonnance du 13 mars 2020 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24), complétée et modifiée les 20, 25 et 27 mars 2020, ainsi que les 1er, 8, 16 et 29 avril 2020. L’ordonnance 2 Covid-19 prévoit plusieurs types de restriction à la liberté personnelle et à la liberté économique, soit:. Ies restrictions à l’entrée en Suisse (art. 3); les restrictions à l’exportation de certains équipements et biens médicaux (art. 4b); la fermeture des écoles (art. 5), assouplie dès le 11 mai 2020; l’annulation des manifestations publiques et privées (art. 6 al. 1); la fermeture d’établissements publics (art. 6 al. 2) ou leur ouverture moyennant un plan de protection (au sens de l’art. 6a) et du respect des recommandations de l’OFSP en matière d’hygiène et d’éloignement social (art. 6 al. 3); l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes dans l’espace public (art. 7c); les mesures de prévention sur les chantiers ou dans l’industrie (art. 7d); l’invitation faite aux personnes vulnérables de rester chez elles (art. 10b) et les obligations de l’employeurs concernant la protection de la santé des employés vulnérables (art. 10c).
L’art. 63 LEp ouvre le droit à une indemnisation par l’Etat, fondée directement sur cette loi, pour les mesures énumérées à l’art. 63 LEp et dans l’ordonnance 2 Covid-19. L’obligation d’indemniser incombe à l’autorité qui a ordonné la mesure (en l’occurrence, le Conseil fédéral lorsqu’il a édicté les ordonnances Covid-19). Cette autorité peut accorder l’indemnisation. Il s’agit là d’une disposition potestative qui laisse à l’autorité une marge d’appréciation, qu’elle doit utiliser dans le respect des principes fondamentaux de l’égalité de traitement et de l’interdiction de l’arbitraire, notamment. L’art. 63 LEp désigne les bénéficiaires comme les personnes touchées par les mesures, sans faire de distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Enfin, l’indemnisation au sens de l’art. 63 LEp est subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être demandée qu’après l’épuisement des autres mesures compensatoires prévues par les ordonnances Covid-19. Le dommage à réparer résulte non seulement de la perte de gain, mais aussi de tous les autres frais en lien direct avec la mesure (le Message cite ici l’exemple du billet d’avion qui n’a pas pu être utilisé à une date déterminée, FF 2011 p. 389).
Le projet de loi à l’origine de la LEp, annexé au Message du Conseil fédéral du 3 décembre 2010 (FF 2011 p. 291ss), a été repris quasiment intégralement par l’Assemblée fédérale, y compris l’art. 63 LEp. Dans le commentaire de cette disposition, le Message contient des affirmations restrictives qui ne ressortent pas du texte légal, clair et ne nécessitant pas d’interprétation (ATF 145 I 26 consid. 5 p. 35/36, 108 consid. 4.4.1 p. 113; 145 III 56 consid. 5.3.1 p. 59, et les arrêts cités).
La première restriction qui ne ressort pas du texte légal consiste, pour le Conseil fédéral, à affirmer que l’indemnisation est versée uniquement en équité; il n’y aurait donc pas un droit à l’indemnisation (Message, FF 2011, p. 389). La deuxième condition infondée est celle que la personne doit se trouver dans une situation matérielle ou sociale critique. La troisième restriction (qui est la plus surprenante) est celle qui exclut d’indemniser les dommages occasionnés en relation avec des mesures de police sanitaire visant la population (Message, FF 2011 p. 389). A quoi sert la LEp sinon à la protection sanitaire de la population, comme le rappellent les art. 1 et 2 de la loi ? Enfin, ne repose sur aucun appui dans l’art. 63 la règle selon laquelle «les organisateurs ou entreprises privés concernés par des interdictions, fermetures et autres restrictions peuvent demander d’être indemnisés par l’Etat dans la mesure où les conditions pour la responsabilité de celui-ci sont remplies» (Message, FF 2011 p. 389).
L’expérience de ces dernières semaines a montré que les mesures destinées à compenser les pertes économiques considérables liées aux mesures de prévention du Covid-19 ont été complétées au fur et à mesure que l’on s’est aperçu que des pans entiers de la population active (notamment parmi les indépendants) ne touchait pas de compensation. Ces dispositifs ont laissé toutefois des secteurs économiques au bord de la touche, si ce n’est de la faillite. On pense ici aux personnes et sociétés actives dans l’événementiel, les spectacles, les festivals, les activités de plein air et tout le secteur du sportif (clubs de hockey sur glace, de football, organisateurs de compétitions sportives).
Que ceux qui ont un droit à l’indemnisation fondée sur l’art. 63 LEp l’exercent ! Nous sommes là pour les aider.
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