Un créancier peut ne réclamer en justice qu’une partie de ce qu’il prétend lui être du. Il s’agit de l’action partielle, permise par l’article 86 du code de procédure civile suisse.
Les frais de justice et les lenteurs d’un procès en matière civile peuvent conduire certains plaideurs à utiliser ce moyen tout en se réservant d’augmenter leur prétention en cours de procédure. La stratégie fondant ce choix réside dans le fait de « demander moins pour payer moins ».
Si cette pratique est admise et son intérêt à une économie de coûts reconnue comme légitime, le Tribunal fédéral vient toutefois la recadrer pour éviter des abus de droit et sanctionne le recours à une action partielle lorsqu’elle a pour but de contourner les règles en matière de valeur litigieuse.
Cette action, prévue à l’article 86 CPC, permet à un créancier de ne réclamer en justice qu’une partie de sa créance contre son débiteur. En pratique, cette action sera surtout utilisée pour des dettes d’argent ou de genre.
L’intérêt d’une telle action est multiple :
En effet, en limitant ses conclusions à CHF 30’000.-, le demandeur peut bénéficier de la procédure simplifiée, réduire le montant de ses frais, voire dans certains cas bénéficier de la gratuité du procès.
L’action partielle permet ainsi de privilégier une procédure accélérée, limiter les voies de recours ou clarifier la situation en matière de preuves.
Le choix d’une action partielle est stratégique dans le cas d’un procès dont l’issue est incertaine ou la solvabilité de la partie débitrice douteuse. Dans de tels cas de figure, la possibilité de limiter les frais du procès est d’autant plus intéressante.
L’action partielle peut aussi intervenir comme procès pilote ou procès test, pour servir ensuite de levier dans la négociation avec la partie adverse dans le but d’obtenir de sa part une exécution spontanée du reste de la créance prétendue, tant il est vrai que le juge saisi de la seconde demande risque de suivre le premier prononcé.
Dans son message Le Conseil fédéral avait donc envisagé l’action partielle comme outil garantissant un accès à la justice. En effet, elle assure aux personnes ne pouvant pas assumer le risque financier d’un procès portant sur une prétention prise dans son ensemble de pouvoir faire valoir partiellement une créance.
Il s’agit d’un instrument de justice sociale destiné à protéger le plus souvent les parties faibles.
En revanche, si les prétentions alléguées sont élevées, présentent des questions juridiques complexes ou nécessitent diverses mesures en matière de preuve (p.ex. une expertise judiciaire), l’action partielle ne sera vraisemblablement pas opportune pour le créancier.
La limite à l’introduction d’actions partielles pour atteindre les buts légitimes décrits ci-dessus est l’interdiction de l’abus de droit selon l’art. 2 al. 2 CC et le principe de la bonne foi selon l’art. 52 CPC envers la partie adverse et le tribunal.
La majorité de la doctrine soutient en effet que la poursuite des avantages décrits ci-dessus est en principe légitime. Il n’y aurait pas en soi d’abus de droit à revendiquer, par une action partielle, les avantages d’une certaine compétence matérielle ou d’une certaine procédure. Le message relatif au CPC fédéral mentionne par ailleurs expressément la réduction des frais de procédure comme motif d’action partielle.
Dans cette même optique, le Tribunal fédéral a déclaré qu’une action partielle visant à réduire le risque de frais était en principe admissible.
La question est alors de définir les cas dans lesquels l’utilisation de l’action partielle est assimilée à un abus de droit. Le Tribunal fédéral s’est penché à plusieurs reprises sur cette question et il en ressort qu’une action partielle constitue un abus de droit notamment lorsqu’il s’agit de chicaner la partie défenderesse, lorsqu’il existe une disproportion flagrante entre l’action partielle et l’intérêt de la partie ou encore lorsque des actions partielles successives résultent en un saucissonnage non justifié.
Dans un arrêt récent (ATF 4A_307/2021 du 23.06.2023), une employée a déposé quatre actions partielles (pour un montant total supérieur à CHF 100’000.-) fondées sur le même état de fait, avec des prétentions ayant des fondements juridiques distincts. En vertu de l’art. 113, al. 2, let. d, et de l’art. 114, let. c, CPC, la procédure en matière de droit du travail est gratuite jusqu’à une valeur litigieuse de CHF 30’000.-. Le tribunal de première instance a effectué une jonction des causes et appliqué la procédure ordinaire. L’employée a fait recours au Tribunal fédéral, contestant l’application de la procédure ordinaire.
Le Tribunal fédéral n’a pas donné raison à l’employée.
A l’appui de sa décision, le Tribunal fédéral a considéré que bien que sur le principe, l’utilisation de l’action partielle en vue de bénéficier de la procédure simplifiée et de la gratuité n’est pas constitutive d’un abus de droit, cela ne signifie pas pour autant que tout recours à une action partielle tendant à réduire les coûts soit admissible.
Dans son analyse, le Tribunal fédéral rappelle qu’avec la procédure simplifiée, le législateur a voulu créer une voie de droit accélérée par rapport à la procédure ordinaire, afin de permettre aux parties d’obtenir une décision judiciaire sur leur litige à un coût raisonnable et dans un délai raisonnable dans les affaires dont la valeur litigieuse est relativement faible et en particulier dans les matières dites de droit social privé. La procédure simplifiée est adaptée aux affaires pour lesquelles « le procès ordinaire serait trop difficile » et doit ainsi contribuer à décharger les tribunaux.
Le législateur a prévu une limite de valeur litigieuse aussi bien pour la gratuité des frais dans les litiges découlant d’un contrat de travail que pour l’aménagement de la procédure simplifiée. L’action partielle permet à la partie demanderesse de limiter la demande en justice de manière à pouvoir profiter de la procédure simplifiée et de la gratuité des frais. Le législateur était conscient de cette possibilité et l’a prise en compte en réglementant l’action partielle.
Toutefois, en l’espèce, l’employée n’a pas limité ses prétentions à CHF 30’000.- dans une action partielle, mais a déposé quatre actions partielles (deux à chaque fois même simultanément) dont le montant total dépasse largement la limite prévue par la loi. Alors que les deux premières actions partielles de CHF 29’999.- chacune concernaient des prétentions pour licenciement abusif dans le cadre de deux rapports de travail différents, elle a, avant même qu’il ne soit statué sur les premières actions partielles, déposé une demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Ainsi, comme l’employée le reconnaît elle-même, la valeur litigieuse totale dépasse la limite prévue par le législateur pour la procédure simplifiée.
En agissant de la sorte, l’employée n’a pas utilisé l’action partielle pour respecter le montant maximal prévu par la loi pour la procédure simplifiée et la gratuité des frais, mais elle a tenté de contourner les limites de la valeur litigieuse prévues par la loi. Ce n’est pas le but de l’action partielle. L’employée demande au Tribunal fédéral que les quatre procédures soient réunies et jugées dans le cadre d’une procédure simplifiée et gratuite. Ainsi, des prétentions d’une valeur litigieuse supérieure à CHF 100’000.- seraient jugées d’un seul coup dans le même procès, et ce dans le cadre de la procédure simplifiée, qui n’est prévue que pour les prétentions jusqu’à CHF 30’000.-.
Le Tribunal fédéral a jugé que l’employée n’a pas fait valoir qu’il y avait d’autres raisons (légitimes) pour une telle répartition de ses prétentions et qu’elle a plutôt tenté, en utilisant plusieurs actions partielles de manière contraire à son but, de profiter de la procédure simplifiée et gratuite prévue pour les valeurs litigieuses jusqu’à CHF 30’000.- pour celles de plus de CHF 100’000.-. Le but de la limitation de la valeur litigieuse serait ainsi vidé de sa substance.
Ainsi, le Tribunal fédéral a conclu que le recours à cette voie procédurale est abusif lorsqu’elle n’est pas utilisée pour respecter le montant maximal prévu par la loi pour la procédure simplifiée et la gratuité des frais, mais qui tente, par le dépôt de plusieurs demandes séparées, de contourner les limites de la valeur litigieuse prévues par la loi.
Il résulte de l’analyse effectuée par le Tribunal fédéral qu’il n’est pas aisé de poser des limites préétablies quant à l’utilisation abusive de l’action partielle, mais que l’existence d’un abus de droit dépendra des circonstances du cas d’espèce et du comportement des parties.
Ainsi, réclamer moins pour payer moins est certes attractif pour les justiciables et une garantie d’accès à la justice qui n’est pas dénuée d’intérêt. Cette démarche ne saurait toutefois s’inscrire dans un but de contournement des règles procédurales applicables.
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