Droit des sociétés

A partir de quand commence à courir le délai de 20 jours pour ouvrir une action en libération de dette ?

Introduction


La question de la computation des délais en procédure est centrale et l’identification des règles applicables est un exercice auquel doit se prêter le justiciable afin d’éviter toute déchéance de droit.


Cet exercice peut toutefois s’avérer plus ardu lorsque des procédures de nature différente concernent une même créance. Dans un tel cas, il s’agira d’identifier avec vigilance les actes déclenchant les délais, en fonction du type de procédure concerné. Tel est le cas par exemple en matière de poursuite, lorsque le dispositif d’une décision de mainlevée provisoire a été rendue et notifiée.


Le Tribunal fédéral a récemment tranché une question controversée jusqu’alors : ainsi, le délai de 20 jours pour intenter une action en libération de dette commence dès la notification du dispositif de mainlevée provisoire au débiteur, et non à partir de la notification de la décision motivée.


La problématique


Depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, la décision de mainlevée provisoire peut aussi être communiquée par la remise d’un dispositif. Se pose alors la question de savoir si le délai de 20 jours de l’action en libération de dette court à compter de la notification du dispositif ou s’il court à compter de l’expiration du délai pour demander la motivation écrite et, si elle a été demandée, à compter de la notification de la décision écrite motivée.


Le Tribunal fédéral tranche une question à laquelle les réponses apportées par la doctrine et les tribunaux cantonaux s’opposaient.


La controverse


Pour certains tribunaux alémaniques et une partie de la doctrine, le point de départ du délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette court dès la notification du dispositif.


D’ailleurs, l’objet de la mainlevée provisoire et l’objet de l’action en libération sont différents, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de connaître les motifs de la mainlevée provisoire pour motiver la demande dans l’action en libération de dette. La motivation n’est nécessaire que pour former un recours.


Pour certains tribunaux romands et d’autres auteurs le délai de 20 jours court à compter de la notification de la décision de mainlevée de première instance motivée. L’admission du caractère exécutoire d’une décision non motivée serait contraire au droit d’être entendu.  


La distinction procédurale à opérer


La loi prévoit que lorsque la mainlevée provisoire a été accordée, le débiteur peut, dans les 20 jours à compter de la mainlevée, intenter une action en libération de dette.  


Afin de circonscrire le cadre dans lequel s’inscrit cette question, le Tribunal fédéral se prête à l’exercice de rappeler (i) ce qu’est la mainlevée provisoire et (ii) ce qu’est l’action en libération de dette, et enfin (iii) la nature de ce délai.  


  • La mainlevée provisoire


Dans son examen, le Tribunal fédéral rappelle notamment que la requête de mainlevée provisoire intentée par le créancier au bénéfice d’une reconnaissance de dette a pour objet de lever provisoirement l’opposition au commandement de payer afin de lui permettre de requérir la saisie provisoire ou l’inventaire et de continuer la poursuite entreprise, pour autant que le débiteur n’intente pas une action en libération de dette.


Ce faisant, le Tribunal précise qu’il s’agit d’un incident de la poursuite. Le juge se limite à examiner l’existence et la validité du titre de mainlevée provisoire. La décision de mainlevée provisoire lève l’opposition du débiteur ; elle ne sortit que des effets de droit des poursuites ; elle n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée sur la créance.


Sous l’angle procédural, la mainlevée provisoire est soumise à la procédure sommaire. La décision qui sera rendue est donc une décision qui est régie par le CPC. La décision de première instance ne peut faire l’objet que d’un recours limité au droit, dans un délai de 10 jours. 


  • L’action en libération de dette


Cette action a pour but de faire constater l’inexistence ou l’inexigibilité de la créance déduite en poursuite. Elle ressortit au droit matériel.


En fonction de la valeur litigieuse, elle est soumise à la procédure ordinaire ou simplifiée. La décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée. Si la valeur litigieuse est de CHF 10’000.- au moins, la voie de l’appel est ouverte. 


Si l’action en libération de dette est déclarée irrecevable pour non-respect du délai de 20 jours de la loi, la mainlevée devient définitive, mais cette décision n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne l’inexistence ou l’inexigibilité de la créance puisqu’elle n’est pas un jugement au fond.


Le délai de 20 jours pour ouvrir l’action en libération de dette est un délai péremptoire de la LP, dont l’inobservation n’entraîne pas la perte du droit matériel, mais uniquement la perte du droit dans la poursuite pendante.


Notification du dispositif de la décision vs. notification de la motivation de la décision


La décision de mainlevée provisoire de première instance peut être communiquée aux parties selon les modes prévus par le CPC, c’est-à-dire soit par remise d’un dispositif écrit à l’audience, soit par notification d’un dispositif écrit, soit enfin (implicitement) par notification immédiate de la décision écrite motivée.  


Les règles applicables en matière de procédure civile prévoient qu’une décision est rendue et prend date au moment où elle est arrêtée par le tribunal, soit au moment où le président de celui-ci constate que la majorité des juges l’a approuvée.  


Une décision qui ne peut faire l’objet que du recours limité au droit des art. 319 ss CPC acquiert force de chose jugée et force exécutoire dès son prononcé, c’est-à-dire au moment où elle est rendue. En effet, un tel recours ne suspend ni la force de chose jugée, ni le caractère exécutoire. La décision et sa date ne sont pas modifiées du fait que la motivation en est rédigée ultérieurement ; en effet, seul sera motivé ce qui a déjà été décidé.


La décision de mainlevée provisoire prend donc date au moment où elle est arrêtée par le tribunal et elle acquiert force de chose jugée et force exécutoire à ce moment-là, puisqu’elle n’est susceptible que d’un recours limité au droit. C’est pour ce motif que l’art. 239 al. 2 CPC peut préciser qu’une motivation écrite est remise aux parties, si l’une d’elles le demande dans un délai de dix jours à compter de la communication – par dispositif – de la décision.  


Le délai de 20 jours pour ouvrir action en libération de dette court donc dès la communication du dispositif de la décision de mainlevée de première instance. 


L’art. 239 al. 2 CPC ne concerne que les voies de recours, que sont l’appel et le recours (limité au droit). Les délais de ces deux voies de droit ne courent pas tant qu’une décision motivée n’a pas été communiquée. Il n’est en effet pas possible de motiver un recours si on ne connaît pas les motifs de la décision attaquée. En ce qui concerne la mainlevée provisoire, qui est sujette à recours limité au droit, il en découle que la communication du dispositif de mainlevée provisoire aux parties fait courir le délai de 10 jours pour demander une décision motivée. Si la motivation est requise, le délai de recours limité au droit de 10 jours court à compter de la notification de la décision motivée. C’est dans ce sens que l’art. 239 al. 2, 2e phrase, CPC précise que si la motivation de la décision n’est pas demandée, les parties sont considérées avoir renoncé au recours.


Une solution trop sévère pour le débiteur ?


Nous ne le pensons pas. Tel que le rappelle le Tribunal fédéral dans son analyse, le délai de 20 jours court à compter de la notification du dispositif de la décision de mainlevée de première instance n’occasionne que peu de désavantage au débiteur. En effet, le non-respect du délai de 20 jours n’entraîne pas la perte de son droit matériel, mais uniquement la perte de celui-ci dans la poursuite pendante. L’action en libération de dette tardive devrait même être convertie et traitée comme une action en annulation de l’art. 85a LP. Et l’objet de l’action en libération de dette étant différent de celui de la mainlevée provisoire, le débiteur n’a pas besoin de connaître les motifs de la décision de mainlevée pour motiver sa demande en libération de dette. 


Conclusion


Cette décision du Tribunal fédéral est bienvenue en ce que, suite à une analyse approfondie et académique de la loi, elle fixe de manière claire les règles applicables en matière de point de départ du délai de 20 jours pour ouvrir une action en libération de dette.


Les motifs exposés par notre Haute Cour ne manquent pas de nous rappeler par ailleurs l’importance de la maîtrise par les avocats des règles applicables en matière de computation de délais, afin d’assurer la sauvegarde efficace des droits de leurs clients.

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