06/10/2025
Droit des sociétés

La Suisse va se doter en 2026 d’un registre central des ayants droit économiques

Le registre fédéral des ayants droit économiques d’une personne morale de droit suisse est sous toit. Le dernier clou dans le cercueil de l’anonymat des détenteurs de parts du capital d’une société de droit suisse a été effectivement enfoncé début septembre par les Chambres fédérales. Celles-ci ont éliminé leurs dernières divergences sur ce sujet et la nouvelle loi fédérale sur la transparence des personnes morales et l’identification des ayants droit économiques (LTPM) devrait entrer en vigueur durant le second trimestre 2026. La loi issue des débats parlementaires est toutefois heureusement un peu plus souple que le projet que le Conseil fédéral avait initialement présenté aux Chambres fédérales.


  1.    Rappel de l’objet de la future LTPM :


Comme nous l’avions souligné dans notre paper du 19 décembre 2023[1], l’objet de la LTPM porte sur l’obligation pour les sociétés anonymes non cotées en bourse, les Sàrl, les Scoop, les SICAV et les SICAF et encore les trustees dont le siège est en Suisse ou qui administrent des trusts étrangers depuis la Suisse de procéder à (i) l’identification, (ii) la mise à jour, (iii) la conservation pendant au moins dix ans et (iv) à la transmission éventuelle des données relatives aux ayants droit économiques de leurs entités.


Les personnes physiques qui sont considérées par la LTPM comme des ayants droit économiques devront en outre s’annoncer à la personne morale qu’ils sont ainsi réputés « contrôler en dernier lieu » et cela dès qu’ils répondent aux critères posés par la nouvelle loi.


Rappelons que sont considérés comme des ayants droit économiques tous détenteurs de parts des entités précitées qui contrôlent en dernier lieu ces entités.


Selon la nouvelle LTPM, sont réputées détenir un tel contrôle, les personnes physiques qui détiennent, directement ou indirectement, une participation d’au moins 25 % du capital ou des voix ou qui exercent sur ces entités « un contrôle par d’autres moyens ».


Les données à collecter et à transmettre à ce nouveau registre sont : (i) le nom et prénom, (ii) la date de naissance, (iii) l’adresse complète et du pays de résidence, (iv) la nationalité et (v) toute autre information nécessaire « sur la nature et l’étendue du contrôle exercé ».


  2.    Le règlement des derniers points de divergence :


Il y a deux ans, dans notre précédent paper susmentionné[2], nous dénoncions en des termes très durs cette nouvelle législation dont le but véritable n’est pas d’assurer la transparence des personnes morales de droit suisse, mais bien la transmission des données transmises à d’autres autorités suisses et étrangères aux fins d’éviter que la Suisse figure sur une liste noire d’un organisme supranational sans légitimité démocratique.


Le projet du Conseil fédéral a toutefois été remanié par les Chambres, la majorité des parlementaires fédéraux ayant suivi notre position au nom d’une surrèglementation pour les entreprises. Les points suivants ont ainsi été modifiés. 


  1. Les fondations et les associations sont dispensées de l’inscription au registre de transparence.
  2. L’obligation d’annoncer les rapports de fiducie a aussi été supprimée. Rappelons qu’il s’agit des cas où aux termes d’un contrat fiduciaire[3], un sujet de droit (le fiduciaire) gère un patrimoine, mais en son nom propre pour le compte de son cocontractant (le fiduciant).
  3. Droit d’accès limité : l’accès au registre sera réservé aux autorités de police, pénales et administratives, de la Confédération et des cantons dans le cadre de la lutte contre le blanchiment. Les intermédiaires financiers pourront aussi consulter en ligne les données du registre, dans la mesure où ces données sont nécessaires à l’accomplissement de leurs obligations. Un droit d’accès pour les autorités fiscales ainsi que pour les médias et les ONG a ainsi été dénié.
  4. L’effet d’une inscription : le texte légal finalement adopté prévoit que les inscriptions sont de nature déclarative (et non pas de nature constitutive). Les intermédiaires financiers et les banques ne pourront donc pas s’y fier pour éviter de remplir leurs obligations de diligence conformément aux lois qui leur sont applicables, en particulier la loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA). La détermination de l’identité des ayants-droits par les intermédiaires financiers reste donc régie par l’article 4 LBA. En revanche, si cet examen est mené avec diligence et ne révèle pas d’anomalie, les intermédiaires financiers devraient pouvoir valablement se fier aux inscriptions figurant dans le registre. Ce point reste toutefois mal défini dans la nouvelle LTPM et sera certainement sujet à de nombreuses divergences et jurisprudences. 
  5. Avocats et notaires : les Chambres ont retiré du projet les nouvelles obligations imposées aux avocats et notaires. Ce volet sera traité séparément.
  6. Les seuils relatifs aux paiements en espèces : les paiements en espèce supérieurs à CHF 15’000 seront désormais soumis à une obligation de diligence (contre CHF 100’000.-actuellement). Dans le cadre des transactions immobilières, les obligations de diligence relevant de la LBA vaudront pour tous les paiements en espèces, quel que soit le montant.

  3.    Notre point de vue :


Nous ne pouvons que répéter l’avis que nous émettions il y a deux ans au sujet de cette nouvelle loi fédérale. Son but n’est malheureusement que trop clair : transmettre servilement à toute autorité qui en ferait la demande, les données ainsi consciencieusement récoltées. Ainsi, en quelques années, toute la législation suisse protégeant la sphère privée en droit des affaires a volé en éclats. Pour plaire aux forums et autres gremiums sans légitimité démocratique de la nouvelle finance mondiale, la personne morale de droit suisse est passée de la garantie de son anonymat et du secret de ses affaires à la plus totale transparence. Cette évolution ne choque toutefois plus personne. Nous ne partageons pas cette indifférence. On regrette la contrainte supplémentaire que la conformité à cette nouvelle loi fera peser sur toutes les PME de notre pays. On déplore l’appareil administratif supplémentaire que cette loi contribuera à instituer alourdissant d’autant le budget de nos collectivités. Peu à peu, inexorablement, une charge administrative de moins en moins supportable alourdit et englue ainsi nos PME. Il convient de le souligner et de le dénoncer à défaut de pouvoir s’y opposer.



[1] Cf. notre paper du 19 décembre 2023 https://www.wg-avocats.ch/actualites/une-societe-plus-du-tout-anonyme/

[2] ibidem

[3] Cf. notre paper du 4 décembre 2017 https://www.wg-avocats.ch/actualites/droit-des-contrats/le-contrat-fiduciaire-est-toujours-reconnu-en-droit-suisse/

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