Le 17 novembre dernier, Quentin Tarantino faisait parler de lui dans les médias ; non pas en raison du fait qu’il avait déclaré renoncer à son métier de réalisateur pour s’orienter vers l’écriture avec la récente publication de « Il était une fois Hollywood », mais pour une toute autre raison : la mise en vente de scènes non publiées de « Pulp Fiction » sous forme de scripts manuscrits, accompagnées de commentaires inédits du réalisateur sous forme de NFT. Tarantino n’a pas hésité à y dédier un site web : www.tarantinonfts.com.
Rappelons que les NFT (Non Fungible Token) sont des jetons cryptographiques reposant sur la technologie blockchain qui permettent d’y intégrer n’importe quel type de contenu et, par là même, à en garantir l’authenticité et l’unicité, puisque seule la personne ayant la clé est capable d’accéder audit contenu auquel est rattaché le NFT.
Si la portée des NFT est ainsi susceptible d’être générale, c’est avant tout dans le domaine de l’art qu’ils sont devenus populaires. Le 11 mars 2021, l’artiste numérique Mike Winkelmann, connu sous le nom de Beeple mettait en vente aux enchères par l’intermédiaire de Christie’s son œuvre intitulée « Everyday : The First 5000 Days » en recourant au procédé de NFT. Mise en vente pour USD 100 dollars, l’œuvre donna lieu à 353 enchères qui se succédèrent pour culminer au final au montant astronomique de USD 60.25 millions de dollars. Ce montant fait de Beeple le troisième artiste le plus cher à avoir vendu une œuvre de son vivant, laissant l’artiste, pantois, écrire sur son compte Tweeter : « Holy fuck ».
Le phénomène ne peut manquer d’interroger pour ne pas dire interpeller sur le plan sociologique sinon psychologique, domaines qui ne relèvent cependant pas de ma compétence et sur lesquels je laisserai le soin aux experts de se prononcer.
Sur plan juridique, et sans entrer ici dans des détails, la situation interpelle à dire vrai tout autant.
Acquérir un NFT, c’est avant tout et surtout acquérir le droit unique et exclusif d’accéder au contenu représenté par ce NFT. En revanche, libre au vendeur de conférer sur l’œuvre elle-même uniquement les droits qu’il souhaite. La seule certitude de l’acquéreur d’un NFT est qu’aucune autre personne que lui ne pourra accéder audit NFT et au contenu qui y est rattaché, lui conférant le bonheur d’être le seul à pouvoir consulter sur son écran le contenu lié (et surtout de spéculer en réalité sur une hausse de la valeur marchande de cet accès, voire de son contenu).
Il est en revanche loisible à l’auteur d’interdire à l’acheteur de publier l’œuvre, de la partager ou encore d’en faire quelque usage commercial que ce soit, en ne permettant qu’un accès à des fins privées. Certains vont jusqu’à autoriser une exploitation commerciale jusqu’à un certain montant, par exemple un montant équivalent par an à USD 100’000, aisément contrôlable au travers du recours à des smart contracts.
Autant dire que l’acheteur a tout intérêt à s’intéresser à ce qu’il acquiert véritablement et à l’étendue des droits résultant d’une telle acquisition. Pour ce faire, il aura tout intérêt à lire de manière particulièrement attentive les conditions générales applicables à la vente qui, en réalité, n’équivaut donc pas en soi à un transfert des droits d’auteur sur l’œuvre liée comme tout un chacun pourrait le croire.
C’est le lieu de rappeler que lorsque vous achetez un livre ou une place pour aller au cinéma, voire un film disponible en streaming sur une plateforme de mise à disposition de contenus, ce que vous achetez est le droit d’accéder à cette œuvre et de la consommer, soit en la lisant, soit en la visionnant, sans jamais penser devenir propriétaire des droits d’auteur sur l’œuvre elle-même intégrée audit support. Contrairement à la croyance populaire, acquérir un NFT n’est donc pas différent, sinon quant au fait que ce droit d’accès est unique.
Autrement dit, c’est à tort que les discussions autour du rôle des NFT s’inscrivent dans le débat public autour des droits d’auteur. Certes, en bien des cas et comme en témoigne l’œuvre de Beeple, le contenu rattaché au NFT constituera une œuvre protégée. Tel ne sera cependant pas nécessairement le cas, et peu importe au final. En réalité, ce que l’acheteur acquiert au travers de l’acquisition d’un NFT, c’est un droit exclusif d’accès. La valeur du NFT ne dépend donc nullement du caractère protégeable du contenu lié, mais bien plutôt de la valeur marchande rattachée à ce droit d’accès et aux droits conférés sur le contenu rattaché, lequel dépend des conditions d’utilisation.
Mais revenons-en à Quentin Tarantino. Sa volonté de vendre sous forme de NFT certaines portions inédites de « Pulp Fiction » aura fait bondir Miramax. Alors que cette dernière considère détenir les droits d’auteur sur l’œuvre en raison d’une clause de cession, Tarantino fait valoir qu’il s’était contractuellement réservé les droits de publier le scénario sous forme d’imprimés, et que la publication de ces scripts manuscrits inédits mis en vente sous forme de NFT tomberait sous le coup de cette réserve. Sans surprise, Miramax ne voit pas les choses de cette manière, et considère que la vente unique de NFT ne saurait être considérée comme une publication imprimée du scénario. Affaire d’interprétation de clauses contractuelles rédigées en un autre temps dont il faudra examiner la portée aujourd’hui, on peine à dire vrai pour avoir lu la demande à voir comment Quentin Tarantino pourrait emporter la conviction du Tribunal, au vu d’une clause de cession particulièrement large intégrant (sans surprise) les technologies à venir. En toute hypothèse, il appartiendra à la United States District Court Central District of California aura à se prononcer ensuite de l’action intentée par Miramax ; affaire à suivre.
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