Depuis de nombreux mois, voire des années, le feuilleton de l’arbitrage Bernard Tapie occupe les médias et réjouit les juristes suisses. Ceux-ci mesurent en effet la différence entre la Suisse et la France dans la compréhension et l’acceptation d’un arbitrage.
Alors qu’en France, la sentence arbitrale, soit le jugement rendu par un tribunal privé dont les juges ont été choisis par les parties suscite au mieux l’incompréhension, et au pire la haine et le rejet le plus absolu, la Suisse, par une jurisprudence constante de son Tribunal fédéral, admet ce type de règlement des différends et le protège même de toute ingérence étatique en restreignant les voies de droit ouvertes pour remettre en cause de tels jugements.
De chaque côté de la crête du Jura, les mentalités sont en effet foncièrement différentes. En France, la justice est l’apanage du pouvoir de l’Etat. Les tribunaux ordinaires et les hommes politiques, mais aussi les médias, ne comprennent pas que des tribunaux privés puissent faire concurrence aux tribunaux étatiques officiels. Il leur est incompréhensible que des juges payés par les parties et choisis par elles puissent rendre un jugement équitable et impartial et que ce jugement puisse avoir force obligatoire dans l’Hexagone et dans le reste du monde. Pour ces juristes et ces politiques, un tel tribunal arbitral et ses jugements sont forcément suspects et entachés de partialité. Alors, quand un homme public comme Bernard tapie obtient gain de cause d’un tel tribunal, qui plus est contre une banque étatisée, et au nez et à la barbe des juridictions ordinaires, la coupe est pleine et le fiel déborde. Tout est mis pour renverser cette décision. Le dernier épisode a eu lieu jeudi 3 décembre 2015 où la Cour d’appel de Paris a renversé la sentence arbitrale qui avait octroyé à Bernard Tapie en 2008 une indemnité de 404 millions d’Euros. Il ne pouvait en être autrement.
Changement complet de décor au nord du Léman. Le droit suisse admet parfaitement la coexistence de jugements étatiques et de sentences arbitrales. L’effet de ces dernières, qu’elles soient rendues entres des parties basées en Suisse (arbitrage interne) ou à l’étranger (arbitrage international) est parfaitement pris en compte et reconnu en droit suisse. La juridiction étatique suprême, le Tribunal fédéral suisse, basé à Lausanne, reconnaît complètement ces sentences arbitrales et s’interdit même de les revoir, consacrant ainsi leur force obligatoire et définitive. Seuls des motifs basés sur une violation crasse des droits fondamentaux, comme la violation du droit d’être entendu ou celui d’avoir un procès équitable, sont admis en droit suisse pour casser une sentence arbitrale. La mauvaise application du droit n’est en revanche pas un motif admis pour recourir contre une sentence arbitrale devant le Tribunal fédéral suisse.
L’ordre juridique suisse répond ainsi parfaitement aux désirs des justiciables qui souhaitent volontairement se soumettre aux sentences d’un tribunal arbitral qu’ils ont constitué et qui est composé d’arbitres nommés et payés par eux. Seule la solution offerte par le droit suisse permet d’assurer la sécurité du droit propice à ces sentences arbitrales. Grâce à la Convention internationale de New York ratifiée par de nombreux pays (actuellement 156 dont la France…), ces sentences sont reconnues dans le monde entier. Nos amis et collègues français feront donc bien de se souvenir du procès Tapie au moment de nommer leurs arbitres. Ils ont en tous les cas été prévenus.
Auteur : Me Christophe Wilhelm
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