20/10/2025
Droit des sociétés

Les administrateurs d’une société anonymes peuvent être rendus responsables d’une inaction procédurale 

Dans ses plus récents arrêts, le Tribunal fédéral renforce ses exigences quant au degré de la diligence que les administrateurs d’une société anonyme doivent atteindre pour échapper à leur responsabilité. Ainsi, dans une récente jurisprudence rendue le 18 mars 2025 (4A_506/2024 du 18.03.2025), notre Haute Cour a posé les conditions auxquelles l’inaction procédurale du conseil d’administration pouvait entraîner la responsabilité de ses membres.


De l’état de fait


Une société anonyme est poursuivie en justice. A cette occasion, l’administrateur unique de la société n’entreprend aucune mesure en vue de soutenir la défense de la société. Cette dernière est condamnée notamment au versement de dommages-intérêts. La faillite de la société est par la suite prononcée. L’administrateur est finalement actionné en responsabilité. Il est reproché à l’administrateur de ne pas avoir soutenu la défense des intérêts de la société lors du premier procès.


Règles légales applicables 


  1. L’art. 754 CO prévoit que les membres du conseil d’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à l’égard de la société, de même qu’envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu’ils leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs.
    De la même façon, celui qui d’une manière licite délègue à un autre organe l’exercice d’une attribution, reste tenu par le dommage causé par ce dernier, à moins qu’il ne démontre avoir pris en matière de choix, d’instruction et de surveillance, tous les soins commandés par les circonstances.
    Pour retenir la responsabilité de l’administrateur, l’art. 754 CO prévoit les conditions cumulatives suivantes : (i) un dommage, (ii) un manquement à un devoir, (iii) une faute et d’un lien de causalité entre le dommage et (iv) un manquement à ce devoir.

  2. Le manquement à un devoir s’apprécie à l’aune de l’art. 717 CO qui stipule que les membres du conseil d’administration doivent exercer leurs attributions avec toute la diligence nécessaire et veiller fidèlement aux intérêts de la société.

  3. Toutefois, le manquement à ce devoir est mitigé par le principe dit de la Business judgment rule, selon lequel une décision de gestion doit être appréciée avec la retenue propre aux risques inhérents à la marche des affaires.

  4. Toutefois, les juges du Tribunal fédéral confirment que la prise en compte de ces éléments de gestion doit faire l’objet par le conseil d’administration d’un processus décisionnel irréprochable, reposant sur une base d’informations adaptée et exempt de conflit d’intérêts

  5. L’exigence d’un processus décisionnel irréprochable n’est en particulier pas remplie en cas d’absence de décision formelle du conseil d’administration et de manque de délibération au sein de celui-ci.

  6. A défaut de remplir les conditions de la Business judgment rule, les juges du Tribunal fédéral apprécient les actes de l’organe sur la base d’un standard objectif de faute. En d’autres termes, ils examinent comment une personne raisonnable et consciencieuse aurait agi dans des circonstances similaires. Ainsi, si le comportement du ou des administrateurs diffèrent du comportement raisonnable attendu, leur responsabilité sera engagée et constituera un manquement à leur devoir de gestion diligente.


La décision du Tribunal fédéral 


En l’occurrence, l’administrateur n’a pas défendu la société contre l’action de son créancier, lequel a gagné le procès faute de moyens de défense.


L’administrateur a tenté de se défendre en expliquant que la société manquait de moyens financiers et ne disposait pas de couverture d’assurance. Elle n’avait donc pas les ressources financières pour soutenir le procès. 


Le Tribunal fédéral a balayé cette argumentation dans l’arrêt précité du 18 mars 2025. 


Il a jugé que la décision de ne pas soutenir le procès aurait dû faire l’objet d’un processus décisionnel irréprochable. Or, aucune séance du conseil d’administration n’avait été tenue. En outre, il avait été démontré en procédure, avec une certaine vraisemblance, que le dommage causé à la société aurait pu être évité si l’administrateur avait fait valoir toutes les objections procédurales qu’il aurait pu invoquer dans le cadre de la soutenance du procès.


En conséquence, notre Haute-cour a jugé que l’administrateur avait failli à ses devoirs et qu’il devait en être tenu responsable.


Notre point de vue


Cet arrêt souligne que les fautes pouvant être reproché à des organes d’une société ne se matérialisent pas uniquement par des comportements actifs mais peuvent également résulter de comportement passif (ex : omission d’agir). Cela met en lumière la proactivité attendue des administrateurs en matière de gouvernance. Il en découle que les organes de gestion doivent en particulier être proactifs dans la défense des intérêts de la société, notamment en cas de procès.


En outre, cette jurisprudence met en lumière l’importance d’appliquer un processus décisionnel irréprochable en documentant les décisions prises, notamment dans le cadre de la gestion. 


En l’espèce, un processus décisionnel irréprochable aurait pu se matérialiser sous la forme d’une décision formelle qui évaluait et modérait les risques, à la lumière de l’avis d’un avocat mandaté par la société pour déterminer l’opportunité de soutenir le procès. 


Au vu ce qui précède, nous sommes d’avis qu’il est important de documenter les décisions prises dans le cadre de la gestion d’une société. La pondération des risques se révèlent en outre tout aussi, si ce n’est plus importante, que le bien-fondé de la décision.


VVO – 15 octobre 2025

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