Litiges en droit commercial

L’anglais : une quatrième langue nationale en procédure civile Suisse ?

L’article 129, alinéa 2, lettre b du Code de procédure civile suisse (CPC), tel que révisé en 2025, introduit une avancée significative dans la gestion linguistique des procédures judiciaires en Suisse, en particulier dans le contexte du commerce international, en prévoyant l’introduction, dans certaines situations et à certaines conditions, de l’anglais comme langue de procédure. Nous examinons ci-après les conséquences pratiques que cette évolution impliquera.


Contexte et objectifs de la révision


Nous l‘avions évoqué lors de précédentes contributions : la révision du CPC, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, vise à améliorer l’accès à la justice et à renforcer la praticabilité du droit en Suisse. Elle répond notamment aux besoins croissants d’adaptation des procédures aux réalités économiques et commerciales internationales. L’introduction de l’anglais comme langue de procédure dans certains cas spécifiques en est un exemple concret., et vise à permettre à la Suisse d’asseoir et renforcer sa place 


Disposition de l’article 129, al. 2, let. b CPC


A teneur de cette nouvelle disposition, si le droit cantonal le prévoit, les langues suivantes peuvent être utilisées à la demande de toutes les parties :​


  • une autre langue nationale ;
  • l’anglais dans les litiges internationaux commerciaux, au sens de l’article 6, alinéa 4, lettre c du CPC, devant le tribunal de commerce ou le tribunal ordinaire.


Cette disposition permet ainsi aux cantons de prévoir, dans leur législation, l’utilisation de l’anglais comme langue de procédure dans les litiges commerciaux internationaux, à condition que toutes les parties en fassent la demande.


Implications pratiques


L’introduction de l’anglais comme langue de procédure dans les litiges commerciaux internationaux vise à faciliter la communication et la compréhension entre les parties, souvent issues de juridictions différentes. Elle répond également à la nécessité d’adapter les procédures judiciaires aux pratiques courantes dans le domaine du commerce international, où l’anglais est fréquemment utilisé comme langue de travail.​


Cette évolution est bienvenue en ce qu’elle témoigne de la volonté de la Suisse d’améliorer l’efficacité de son système judiciaire et de renforcer son attractivité en tant que centre de résolution des litiges commerciaux internationaux.​


Quelques difficultés pratiques prévisibles 


L’ouverture à l’anglais comme langue de procédure dans les litiges commerciaux internationaux représente certes une avancée significative, mais sa mise en œuvre pratique laisse entrevoir plusieurs défis auxquels les cantons seront vraisemblablement confrontés.


Ces difficultés se situent tant au niveau organisationnel que juridique et humain.


1. Adaptation des structures judiciaires cantonales


Les cantons devront mettre en place les infrastructures nécessaires pour permettre le traitement des affaires en anglais. Cela implique notamment :


  • La création de tribunaux ou de chambres spécialisées maîtrisant l’anglais juridique.
  • La formation ou le recrutement de personnel judiciaire (juges, greffiers, collaborateurs juridiques) compétent en droit commercial international et capable de travailler en anglais.
  • L’élaboration de règlements cantonaux encadrant les modalités d’introduction et de gestion d’une procédure en anglais.


Ces ajustements nécessitent bien évidemment du temps, des ressources et une coordination entre les organes judiciaires et les autorités cantonales.


2. Garanties du droit à un procès équitable


Le recours à l’anglais ne doit pas porter atteinte aux droits fondamentaux des justiciables, notamment au droit d’être entendu et à l’égalité des armes. Cela suppose notamment :


  • Que toutes les parties soient réellement capables de comprendre et d’utiliser l’anglais à un niveau suffisant ;
  • Que les traductions nécessaires (par exemple pour les décisions judiciaires ou les actes de procédure essentiels) soient mises à disposition, susceptible d’engendrer un coût administratif et logistique supplémentaire.

3. Uniformité et cohérence entre les cantons


L’article 129 al. 2 let. b CPC prévoyant que le droit cantonal régisse l’utilisation de l’anglais en procédure civile, il n’est pas exclu qu’il en résulte une certaine hétérogénéité d’un canton à l’autre :


  • Certains cantons pourraient adopter rapidement la réforme, tandis que d’autres hésiteront ou y renonceront ;
  • Cette inégalité d’application pourrait compromettre l’harmonisation du droit procédural suisse, allant à l’encontre de l’objectif d’unification poursuivi par le CPC.

4. Compétence linguistique des magistrats et du personnel judiciaire


Même dans les cantons favorables à la réforme, la disponibilité de magistrats maîtrisant l’anglais juridique reste une difficulté concrète :


  • Le droit commercial international est complexe, et sa maîtrise en anglais suppose une expertise rare.
  • Une formation linguistique ciblée devra être mise en place, ce qui représente un investissement à moyen et long terme pour les cantons.

5. Défis en matière de preuve et de documentation


Dans les procédures en anglais, il est prévisible que les preuves et pièces versées au dossier seront souvent en langue étrangère (anglais ou autre) :


  • Les tribunaux devront évaluer si une traduction officielle est nécessaire pour chaque pièce.
  • La gestion documentaire (archives, rédaction des décisions, communication avec les parties) devra être adaptée pour intégrer une langue non officielle du pays, ce qui soulève des questions de validité et de sécurité juridique.

6. Questions ouvertes


Enfin, quelques questions demeurent ouvertes et devront vraisemblablement être traitées par la pratique :


  • Les parties peuvent-elles utiliser des langues différentes en procédure ?
  • Les parties sont-elles autorisées à changer de langue en cours de procédure ?
  • Les parties sont-elles autorisées à changer de langue en procédure d’appel/de recours ?
  • Les parties sont-elles autorisées à écrire en anglais, mais tenir les audiences en français (ou l’inverse)?


Conclusion


L’intégration de l’anglais dans les procédures civiles est une évolution ambitieuse qui positionne la Suisse comme un acteur juridique moderne et attractif sur le plan international. Toutefois, sa mise en œuvre opérationnelle représentera un véritable défi pour les cantons, qui devront concilier exigences linguistiques, garanties procédurales et contraintes budgétaires.


Une coordination intercantonale et un soutien fédéral pourraient s’avérer nécessaires pour garantir une application uniforme et efficace de cette réforme.

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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