Droit des sociétés

Le contrôle spécial dans le droit des sociétés : un outil méconnu, mais fort utile

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L’exercice des droits des actionnaires est intimement lié aux droits de ces derniers d’être renseignés sur les activités de la société et de consulter certaines pièces.


Lorsque les actionnaires ne parviennent pas à exercer valablement leurs droits en raison de manquements du Conseil d’administration, il est envisageable de proposer à l’Assemblée générale l’institution d’un contrôle spécial (art. 697a al. 1 CO).


Cette procédure particulière consiste à mettre un œuvre un contrôleur pour répondre à certaines interrogations qu’ont les actionnaires. Le contrôleur doit être indépendant et il ne peut donc s’agir de l’organe de révision ; il s’agit le plus souvent d’un expert-comptable d’une fiduciaire tierce.


Si l’Assemblée générale accepte la proposition de contrôle spécial, elle adresse une demande au Tribunal qui devra ensuite désigner le contrôleur en question (art. 697a al. 2 CO).


Si l’Assemblée générale ne donne pas suite à cette proposition, des actionnaires repré­sentant 10 % au moins du capital-actions ou des actions d’une valeur nomi­nale de 2 millions de francs peuvent, dans les trois mois, demander au tribunal la dési­gnation d’un contrôleur spécial (art. 697b al. 1 CO).


Dans un tel cas, le rapport du contrôleur spécial aura alors valeur d’expertise et pourra être utilisé par les actionnaires requérants dans le cadre d’autres procédures judiciaires.


Le Tribunal fédéral a récemment eu l’occasion de préciser sa jurisprudence à cet égard, en rappelant le but de la procédure de contrôle spécial et les conditions à remplir pour qu’un tel contrôle soit mis en œuvre (cf. arrêt 4A_631/2020 du 15 juin 2021).


Le contrôle spécial doit avoir pour objet des faits, et ceux-ci doivent être déterminés.


Il s’agira par exemple :


  • d’établir le contenu de contrats ;
  • d’avoir accès à des pièces non remises par le Conseil d’administration ;
  • de préciser si des fonds ont été retirés et dans quel but ;
  • de vérifier certains éléments précis de la comptabilité de la société ou des décisions notifiés à la société par des instances administratives et fiscales ;
  • de vérifier la rémunération des administrateurs, sans pour autant porter de jugement de valeur ;
  • de calculer et vérifier l’utilisation du bénéfice, sans pour autant se prononcer sur la politique de distribution de ce dernier ;


Les actionnaires qui font appel aux instances judiciaires pour l’instauration d’un tel contrôle spécial doivent justifier d’un intérêt actuel digne de protection : l’information requise doit permettre d’exercer ses droits d’actionnaire en connaissance de cause, en particulier l’action en responsabilité (art. 754 CO) et l’action en restitution (art. 678 CO). Cette dernière vise notamment les prestations de la société qui sont en disproportion évidente avec leur contre-prestation et la situation économique de la société (art. 678 al. 2 CO), soit les distributions dissimulées de bénéfices.


Dans ce cadre, les actionnaires doivent réussir à rendre vraisemblableque des organes ou fondateurs ont violé la loi ou les statuts et qu’il en est résulté un préjudice. Cette exigence de plausibilité est la pierre angulaire du droit au contrôle spécial. Le Tribunal fédéral a toutefois précisé qu’il suffit de rendre vraisemblable que la «violation est de nature à porter préjudice à la société ou aux actionnaires».


Le degré de preuve ne doit donc pas être trop strict, car il appartiendra précisément au contrôleur spécial de réunir les éléments nécessaires à prouver les violations légales ou statutaires qui sont invoquées par les actionnaires.


Le droit au contrôle ne doit toutefois pas être accordé trop facilement. Le Tribunal fédéral rappelle que son objectif n’est pas de permettre des « démarches abusives ou quérulentes » ou des « fishing expeditions » en quête d’éventuelles irrégularités qui ne sont étayées par aucune preuve.


Cet équilibre est délicat à trouver, car les actionnaires doivent pouvoir être renseignés sur des éléments dont ils n’ont pas de preuves. Ils doivent avoir à disposition un moyen juridique leur permettant précisément de réunir la matière nécessaire pour faire valoir leurs droits. L’institution du contrôle spécial étant le prolongement du droit à l’information des actionnaires (minoritaires) et pouvant être assimilé à une forme d’action en reddition de comptes, le juge devra procéder à une pesée des intérêts sur la base des soupçons qui sont formulés par les actionnaires.


L’outil du contrôle spécial peut donc s’avérer très utile lorsque le Conseil d’administration manque à son devoir de transparence et d’information des actionnaires. Ces derniers trouvent alors un moyen juridique de faire valoir leurs droits et de protéger leurs intérêts.

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