Droit des sociétés

L’octroi de prêt d’urgence à votre entreprise en difficulté : attention à ne pas se retrouver les mains vides en cas de faillite

Accorder un prêt à votre propre société ou à une société proche peut sembler une solution simple pour l’aider à surmonter des difficultés financières. Pourtant, une récente décision du Tribunal fédéral (5A_440/2024) rappelle qu’un tel geste peut avoir des conséquences inattendues en cas de faillite.


En effet, si la société était déjà surendettée au moment où le prêt a été accordé, ce prêt peut être considéré comme postposé, même sans accord écrit en ce sens. Cela signifie que vous passerez après tous les autres créanciers avec le risque de ne rien récupérer du tout.


Même sans surendettement, un prêt peut être considéré comme subordonné si des indices concrets laissent penser que vous avez volontairement accepté d’être payé en dernier. Cela peut arriver si le contrat de prêt est ambigu ou s’il y a un comportement laissant entendre une telle intention.


   I.    Que s’est-il passé 


Entre 2016 et 2018, plusieurs parties proches de la société (notamment des actionnaires, des membres du conseil d’administration et une société sœur) lui ont accordé des prêts pour la soutenir financièrement. Mais en 2018, cette dernière a fait faillite.


Dans le cadre de la procédure de faillite, les créances liées aux prêts ont été classées en troisième rang et soumises à postposition, c’est-à-dire que les prêteurs ne seraient remboursés qu’après tous les autres créanciers, ce qui revient souvent à ne rien recevoir du tout. Les tribunaux cantonaux ont rejeté les actions et les recours formés par les prêteurs. Ces derniers ont demandé au Tribunal fédéral d’admettre leurs créances sans postposition.


   II.    Qu’a décidé le Tribunal Fédéral


Les prêts accordés par des personnes proches à une entreprise en difficulté doivent être examinés de manière critique. Pourquoi ? Parce que ces prêts peuvent permettre à l’entreprise de continuer son activité sans véritable restructuration, éventuellement au détriment des autres créanciers.


Dans la doctrine, plusieurs auteurs préconisaient dans certains cas de requalifier ces prêts en fonds propres ou de les subordonner automatiquement. Mais le Tribunal fédéral a rejeté la requalification en fonds propres et s’est concentré sur la question de la subordination.


       1. Pas d’abus de droit si l’entreprise n’est pas surendettée


Le Tribunal fédéral a rappelé que si une entreprise est en situation de surendettement, le conseil d’administration doit établir un bilan intermédiaire et avertir le juge — sauf si les créanciers acceptent de postposer leurs créances.


Mais si l’entreprise n’est pas surendettée au moment du prêt, le créancier peut légitimement penser que tout est en ordre. Dans ce cas, il n’y a pas d’abus de droit si ce créancier demande le remboursement de son prêt lors de la faillite.


       2. Pas de postposition implicite sans preuves concrètes


Le Tribunal fédéral s’est aussi penché sur l’idée d’une postposition implicite, déduite de l’intention des parties. Il a été clair : une telle postposition ne peut être supposée que si des éléments concrets montrent que le prêteur acceptait clairement de passer après les autres créanciers. Cela n’a pas été démontré dans cette affaire.


       3. Pas de lacune ou “vide juridique” à combler


Enfin, certains soutenaient qu’il fallait créer une règle pour postposer ces prêts, en l’absence de disposition légale. Le Tribunal fédéral a répondu que le législateur a volontairement choisi de ne pas réglementer cette question. Le droit suisse contient déjà un outil suffisant pour corriger les abus : l’interdiction de l’abus de droit (art. 2 al. 2 du code civil). Il n’y a donc pas de lacune à combler par le juge.


Le Tribunal fédéral de décider :


Les prêteurs étaient certes proches de la société. Mais :


  • la société n’était pas surendettée quand les prêts ont été accordés,
  • aucune intention de postposition n’a été prouvée.


Le Tribunal fédéral a donc décidé que leurs créances ne sont pas subordonnées, et doivent être reconnues en 3e classe dans la faillite, au même titre que d’autres créanciers non garantis.


   III.    Pourquoi cette décision est importante


Jusqu’ici, il y avait une incertitude juridique sur les conditions précises d’une telle postposition. La décision du Tribunal fédéral 5A_440/2024 apporte des éclaircissements bienvenus :


  • Il n’existe pas de vide juridique à combler : les bases légales sont l’interdiction de l’abus de droit ou la postposition implicite.
  • Pas de surendettement = pas d’abus de droit : même si l’entreprise est en difficulté, ce seul fait ne suffit pas pour dire que le prêteur a abusé de son droit.
  • Une subordination implicite ne peut pas être déduite simplement parce que :
    • la situation financière était difficile,
    • la faillite était probable,
    • le prêt visait à maintenir l’activité.


Il faut des preuves concrètes que les parties voulaient vraiment une postposition.


   IV.    En conclusion :


Malgré les clarifications apportées, il reste des zones floues.


Ainsi, le bon réflexe :


  • Avant de prêter, vérifiez si la société est surendettée (demandez un bilan actualisé).
  • Dans le contrat de prêt, indiquez clairement qu’aucune postposition n’est pas convenue.
  • Consultez un expert si la situation financière est incertaine.


Un prêt bien intentionné ne doit pas devenir une perte assurée. La prudence contractuelle est votre meilleure protection.

Vous avez des questions par rapport à la problématique abordée dans cet article ?

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