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La Vigie perdue de vue ?

Wilhelm Gilliéron Avocats

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Wilhelm Gilliéron Avocats

Article publié le dans Droit des transports

- Wilhelm Gilliéron Avocats
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Le 22 mai 2012, les Transports publics de la région lausannoise (tl) ont soumis à l’Office fédéral des transports (OFT) une demande d’approbation des plans concernant notamment la création d’une nouvelle ligne de tram reliant Renens-Gare au Flon (t1), y compris la création d’une liaison routière reliant la rue de la Vigie à la rue Jules-Gonin (liaison Vigie-Gonin), rendue nécessaire par la fermeture prévue du Grand Pont et de la rue de Genève au trafic automobile.

Le 7 mars 2016, l’OFT a approuvé ces plans, notamment ceux de la liaison Vigie-Gonin, et rejeté les oppositions. Saisi de recours formés par les opposants contre cette décision, le Tribunal administratif fédéral les a admis partiellement, par arrêt du 2 février 2018 (cause A-2465/2016). En particulier, le TAF a estimé que l’OFT n’était pas compétent pour approuver les plans de liaison Vigie-Gonin, laquelle devrait faire l’objet d’une procédure cantonale tendant à l’octroi d’un permis de construire et de défrichement. Le TAF a annulé la décision de l’OFT sur ce point, tout en rejetant les recours dirigés contre la réalisation du t1 et des travaux annexes.

Le nœud du problème se trouve aux art. 18ss de la loi fédérale sur les chemins de fer, du 20 décembre 1957 (LCdF; RS 742.01).

L’OFT est l’autorité compétente pour approuver les plans relatifs aux constructions et installations servant exclusivement ou principalement à la construction ou à l’exploitation des installations ferroviaires (art. 18 al. 1 et 4 LCdF). Ces règles s’appliquent également aux installations de trolleybus (art. 11 de la loi fédérale sur les entreprises de trolleybus, du 29 mars 1950 – LTro; RS 744.21). Si l’on se trouve en présence d’une installation de trolleybus tombant sous le coup de la LCdF, aucune autorisation ou plan cantonal n’est requis (art. 18 al. 4 LCdF). Les constructions et installations ne servant pas exclusivement ou principalement à l’exploitation de trolleybus (installations annexes) sont régies par le droit cantonal (art. 18m LCdF).

Le critère de distinction entre les installations relevant de l’exploitation ferroviaire (ou de trolleybus, en l’occurrence) et celles qui ne relèvent pas d’une telle affectation, est fonctionnel: il faut, d’un point de vue matériel et spatial, un rapport nécessaire et étroit avec l’exploitation ferroviaire et se demander, au regard de l’objectif prédominant visé par le projet, si celui-ci sert en première ligne les besoins de l’exploitation ferroviaire ou de la circulation routière (ATF 127 II 227, relatif à un projet de réaménagement d’un croisement entre route et voie ferrée; TF 1A.117/2003 du 31 octobre 2003, concernant la fermeture d’un passage à niveau). Pour les tl et l’OFT, la liaison Vigie-Gonin serait absolument nécessaire pour construire et exploiter la ligne t1; cet ouvrage constituerait une «mesure d’accompagnement routière» à la construction ferroviaire. Pour le TAF, même s’il existe un lien entre les deux ouvrages, il n’en demeure pas moins que la liaison Vigie-Gonin sert principalement à des buts de réaménagement de la circulation routière.

Le rapport étroit, matériel et spatial, exigé par la jurisprudence, fait défaut. La liaison Vigie-Gonin ne peut dès lors être approuvée par l’autorité fédérale; sa construction relève du droit cantonal (art. 18m LCdF). Il en va de même du défrichement nécessaire pour la création de cette liaison.

Indépendamment du point de savoir si les opposants (déboutés sur l’essentiel) porteront l’affaire devant le Tribunal fédéral, on ne peut que s’étonner, sur le vu de la jurisprudence relative à l’art. 18 LCdF, que les services cantonaux et l’OFT, ainsi que les tl, ont pu soutenir que la liaison Vigie-Gonin devrait être considérée comme une construction mixte pouvant être intégrée dans la procédure fédérale d’approbation de la ligne t1.

La jurisprudence relative aux art. 18ss LCdF est claire. On peut comprendre la position des autorités communales et cantonales, selon lesquelles il n’est pas possible de créer une ligne de tram sans régler en même temps les problèmes routiers. Ce que dit le TAF, c’est que pour cela, il faut mener de front (et de manière coordonnée, conformément à l’art. 25a LAT) la procédure fédérale d’approbation des plans relatifs à la ligne de tram, d’une part, et la procédure cantonale du plan routier et du défrichement relatif à la liaison Vigie-Gonin, d’autre part.

De ce point de vue, l’annonce de la volonté des tl de recourir contre l’arrêt du TAF (cf. le communiqué de presse du Bureau d’information et de communication de l’Etat de Vaud, du 8 février 2017) est surprenante. Si l’intention des tl est d’obtenir du Tribunal fédéral qu’il modifie sa jurisprudence relative aux art. 18ss LCdF, les chances du recours sont faibles. Cette procédure durera des mois, pendant lesquels il ne se passera rien.

Il vaudrait mieux accepter le verdict du TAF et entamer immédiatement la procédure nécessaire à la réalisation de la liaison Vigie-Gonin sur le plan cantonal. On sait déjà que ce projet suscitera les oppositions (et probablement les recours, le cas échéant) des milieux opposés à tout défrichement dans le secteur du Flon. Pour préserver les chances d’atteindre l’objectif de mise en service du tram en 2023, il vaudrait mieux prendre le chemin le plus court que d’ajouter une phase de procédure incertaine. Les premières études pour le projet t1 remontent à 2010, pour finir dans l’impasse de l’arrêt du TAF, huit ans plus tard. Cinq ans supplémentaires ne seront donc pas de trop pour mener ce projet à chef, dans le délai prévu.

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