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Les mécomptes de la Cour des comptes de la République et canton de Genève

Wilhelm Gilliéron Avocats

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Wilhelm Gilliéron Avocats

Article publié le dans Litiges en procédure administrative

- Wilhelm Gilliéron Avocats
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En juillet 2019, la Cour des comptes a publié un rapport (n°149) concernant la gestion des ressources humaines de la commune du Grand-Saconnex. Celle-ci a mandaté le soussigné pour recevoir un avis au sujet du droit d’être entendu des entités publiques auditées par la Cour. Cet avis, rendu en octobre 2019, a fait l’objet d’un article publié dans « Le Temps » du mercredi 20 mai 2020.

La Cour des comptes, un quatrième pouvoir de l’Etat ?

Les Cours de comptes ont une double vocation : vérifier la régularité et l’exactitude des comptes publics, tâche originelle à laquelle s’est ajoutée l’évaluation des politiques publiques (sous l’angle de leur efficience). Dans les institutions comparables (la Cour des comptes de l’Union européenne, en France, en Allemagne, en Italie, dans le canton de Vaud) les membres de la Cour des comptes sont généralement élus par le Parlement, auquel ils sont rattachés administrativement. La particularité genevoise est que la Cour des comptes est un pouvoir indépendant des trois autres pouvoirs de l’Etat (le Grand Conseil, le Conseil d’Etat et le pouvoir judiciaire). Ses magistrats sont élus par le peuple. La Cour semble en déduire qu’elle n’a de comptes à rendre à personne.

L’audit de la gestion des ressources humaines de la commune du Grand-Saconnex

Lorsqu’elle a ouvert la procédure d’audit qui a conduit à la publication du rapport n°149, la Cour a demandé la production de documents et la remise de dossiers personnels. Elle a procédé à des entretiens. Au terme de ses investigations, elle a soumis à l’exécutif trois projets de rapport, avant de publier le rapport n°149 dans sa version finale, le 5 juillet 2019. Le Conseil administratif a demandé à recevoir des compléments d’information au sujet des éléments du rapport, posé des questions relativement aux constats du rapport, demandé des éclaircissements, requis d’accéder aux sources étayant tel ou tel constat. Le Conseil administratif a également demandé à compléter ou rectifier le rapport, en proposant des contre-preuves. En vain. Ces requêtes ont été écartées, sans indication des motifs. A cela s’ajoute qu’en lisant le rapport, l’autorité communale s’est rendue compte que la moitié de son texte était une reprise littérale (« copier-coller ») d’un autre rapport de la Cour des comptes (n°146) concernant la commune de Lancy. Cela montre que la Cour conduit des audits sur le même thème auprès de collectivités différentes, sans tenir compte des différences dans les situations de fait, en n’établissant pas les faits de manière objective et différenciée, en calquant des constats préétablis sur des faits différents et déformés.

La procédure conduite par la Cour des comptes ne respecte pas le droit d’être entendu

S’agissant des faits déterminants pour le sort du rapport, la Cour a tenu pour établis des faits contestés, sans explication, et sans instruction contradictoire. Les constats posés ne sont pas traçables. La Cour a tenu pour non-établis des faits existants. Elle a refusé de communiquer au Conseil administratif les informations sur lesquelles elle a fondé son constat. Elle a rejeté sans explications les moyens de preuve offerts par le Conseil administratif. Dans chacun de ces cas, le droit d’être entendue de la commune a été violé.

Dans l’appréciation des faits, la Cour n’a retenu que ceux qui allaient dans le sens d’un avis prédéterminé. Les éléments à charge ont été maintenus, parfois au mépris des faits, les éléments à décharge écartés. Aucune donnée contraire n’a été retenue. Le rapport est partiel et partial.

De manière générale, l’entité publique contrôlée par la Cour des comptes est démunie de moyens procéduraux de défendre son point de vue dans la procédure d’évaluation. Ses arguments peuvent être ignorés ou balayés, sans aucun contrôle, et en violation de tous les principes de procédure. En outre, l’entité contrôlée est démunie de la possibilité de faire redresser par une autorité supérieure (notamment une autorité juridictionnelle) les erreurs commises par la Cour des comptes dans l’établissement des faits et leur appréciation.

Le paradoxe tient au fait que la révision ou l’audit est un travail de fourmi, consistant à rechercher des faits (et non des ressentis, des appréciations, des états d’âme), de façon méticuleuse, précise, étayée. Il s’agit ensuite de laisser l’entité auditée faire valoir d’autres faits, ou son appréciation différente quant aux faits relevés, pour établir, dans le cadre d’un examen objectif, respectant le droit d’être entendu, des faits irréfutables, sur la base desquels l’autorité procède à une évaluation et émet des recommandations, dont le contenu dépend d’une appréciation (que l’on peut partager ou non). La lecture du rapport n°149 est très frustrante à cet égard, car de nombreux faits déterminants pour ses conclusions sont contestés dans leur établissement ou leur résultat, ou non établis conformément aux règles de la procédure, ou retenus en violation du principe du contradictoire.

En conclusion, il faut réaffirmer le principe que les entités publiques soumises à une évaluation (audit) par la Cour des comptes ont le droit à ce que la procédure d’évaluation soit conduite de manière transparente, dans le respect du droit d’être entendu, et notamment des règles gouvernant l’établissement des faits. Pour cela, il est nécessaire de modifier les normes existantes pour assurer aux entités publiques contrôlées par la Cour des comptes un droit effectif de redressement des violations du droit d’être entendu commises par la Cour dans sa procédure d’évaluation, y compris par la voie judiciaire.

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